RIP Cecil (Perceval) Taylor 1929/2018, l'imagineur de sons

De tant d'aventures, nombre de pianistes lui sont redevables pour avoir voulu passer dans le son, dans l'intensité et la puissance de l'être là, celle du moment du jeu vécu comme seule alternative (à l'ennui, à la répétition ou à la fixation d'une sensation). R.I.P. Cecil Taylor mort à 82 ans ce matin.

La bio d'Alain Gerber fait foi - Dès les années 1950, celui qui allait apparaître comme une figure de proue du nouveau jazz se fait remarquer (et détester) par une conception fondée sur la discontinuité de l'improvisation et un « aventurisme » harmonique qui lui fera envisager la solution de l'atonalisme. Cecil Taylor appartient dès lors à cette catégorie de jazzmen qui, à l'instar de Thelonious Monk, font porter l'essentiel de leur effort sur l'occupation de l'espace (lui-même se déclare volontiers « constructiviste »). À partir de 1960, il rompt de manière plus décisive encore avec la tradition en renonçant à la formule « lignes mélodiques-soubassement d'accords », ainsi qu'au tempo uniforme. C'est dans l'intensité et la vitesse d'exécution, incessamment variées, qu'il trouve alors ses principaux moyens d'expression. Son « débit torrentiel » (P. Carles) alimente une masse sonore instable dont les éléments, soumis par les rythmes enchevêtrés à une structuration complexe et sans cesse remise en cause, semblent agités d'un mouvement brownien.

La force de sa musique fait de Cecil Taylor le débiteur des cultures non occidentales, alors qu'il est par ailleurs, de tous les musiciens du free jazz, celui dont les œuvres entretiennent le plus de rapports avec les recherches menées en Europe (celles de Stockhausen, par exemple). Dans les années 1970 et 1980, il ajoute fréquemment aux sons instrumentaux des éléments vocaux dont les textes sont généralement écrits par lui-même, ainsi que des pas de danse d'inspiration amérindienne. À la fin des années 1980, surtout, les transes, les incantations d'inspiration africaine se mêlent à un piano-percussion pour créer une tension extrême.

Découvert, pour ma part, au Festival de Chateauvallon en 1975, je n'avais pas d'abord compris de quoi il retournait avec des musiciens qui apparemment jouaient des trucs qui ne faisaient pas sens dans mes schémas musicaux. Puis, au moment où tout s'est aligné où j'ai entendu ce qui se jouait là où les autres ne mettaient rien, sur ce nouveau terrain de jeu où les sons passaient en force, à toute vitesse, la sensation d'une nouvelle façon d'écouter et de jouer et de se répondre. Une autre musique. J'étais soudain moins con, j'avais 17 ans et je n'ai pas oublié. Retournant de temps à autre au fameux coffret de la Fondation Maeght ( The Great Concert of Cecil Taylor) avec Sam Rivers, Andrew Cyrille et Jimmy Lyons, on ne peut que se laisser porter par l'océan. Noël Akchoté se souvient d'être allé l'écouter en club religieusement avec moins de 15 spectateurs innovant chaque soir, sans coup férir, quand Benoît Delbecq tient un des ses live en Allemagne ( Live at Donauschingen? ) pour un de ses disques de chevet… 

Il y a plein de façons d'apprécier/découvrir Cecil Taylor : films, Dvd et enregistrements. Sorry, mais pour les live, c'est désormais too late … 

Jean-Pierre Simard le 06/04/18