Le raï 2018 est ici avec Sofiane Saidi et Mazalda à Epinay-sur-Seine ce soir… 

La rédaction de l'Autre Quotidien est partagée sur El Ndjoum de Sofiane Saidi et Mazalda. Quand j'y vois l'actualisation de l'idiome populaire oranais, mon alter ego n'y sent que construction subtile pour coller à l'air du temps. Déja qu'avec Mordjane, en 2015, Saidi renouvelait l'aventure en version rock expérimental, El Ndjoum va plus loin en 2018. Explications… 

D'après Télérama On croyait le grand raï mort avec le ­déclin de Khaled, Cheb Mami et con­sorts, dans le meilleur des cas réduit à quelques performances vocodées dans les boîtes à chicha des périphéries urbaines. Et voilà qu’il renaît par la voix rauque et enfumée d’un quadragénaire parisien originaire de Sidi Bel Abbès, en Algérie.  En guise d'intro c'est pas mal, mais un peu court. Revenons plutôt à 1986 et au Festival de Bobigny dont le producteur disait ceci : "Il y avait une ambiance de folie car le public composé essentiellement d’immigrés algériens retrouvait ici, en France, une part de sa culture. Les gens venaient de toute l’Europe, afin de voir pour la première fois sur scène, les vedettes qu’ils connaissait quand ils étaient au pays", se souvient Michel Levy, producteur indépendant et manager de Cheb Mami. Nous sommes le 23 janvier 1986, à Bobigny, en région parisienne, date du premier festival de raï organisé en terre française. Un événement qui a marqué les esprits et demeure aujourd’hui une référence, car ce rendez-vous a chamboulé la donne musicale. Juste l'occasion de voir ( j'y étais) :  Cheb Khaled et Cheb Mami, la sulfureuse Cheikha Rimitti, le couple infernal Sahraoui et Fadéla, le rossignol Cheb Hamid et les Raïna Raï, "Ce festival a été perçu comme un ovni culturel qui arrivait d’Algérie et parlait de sexe, d’alcool et de femmes", précise Michel Levy. 

Aujourd'hui, interrogé par Jacques Denis pour Superfly, Saidi affirme que les 5 titres qui l'ont en quelque sorte constitués ( dans les années 1920, le raï est une musique de femmes) sont Cheikha Rahma avec Majaouja Ouala Bakya, Cheikha Rabia avec Karima Ya Naïma, Houari Benchenet avec Malika, Cheb Khaled avec Hana Hana, et le même un peu plus tard Cheb Khaled & Safy Boutella Kutché.  

Le triomphe du raï durera jusqu'en 94/95 quand la vague islamiste en Algérie changera la donne et confinera petit à petit le raï à des territoires d'expression de plus en plus réduits, avec les scandales autour de la vie de Khaled et l'assassinat d'Hasni. On peut aussi affirmer trankilou que les voix montantes des 90's sont plus dans le hip hop d'ici qui va régner sans partage. Le dernier éclat notable est "Un, deux, trois… soleils" réunissant Khaled, Rachid Taha et Faudel au Palais Omnisport de Paris-Bercy bourré à craquer. Les années 2000 tournent une autre page de l’histoire de cette musique. Outre Faudel qui, en francisant le raï, a parfaitement intégré le système commercial, d’autres enfants du raï renouvellent le genre. Ils n’hésitent pas à le marier à différents courants grâce à la technologie et donnent naissance au rap-raï, à l’électro-raï ou au raï’n’b. Sauf que le silence s'installe dans les médias… Selon Michel Levy "dans les années à venir, le raï va devenir une musique recomposée qui s’appellera toujours pareil. Mais elle n’aura rien à voir avec ce qui c’est fait auparavant, parce que les paramètres socio-culturels sont désormais différents". Rendez-vous dans vingt ans !   Ben justement … 

Sofiane Saidi a une voix unique, un timbre aussi rare qu'élastique qui a déjà tourbillonné dans les courants de la world des années 90 (chez Transglobal Underground, Natacha Atlas ou Tukuleur) sans y perdre son authenticité. Depuis les années 2000, il a croisé Smadj, Bojan Z, Ibrahim Maalouf ou Ballaké Sissoko, et plus récemment été invité sur La Hafla d'Acid Arab.

Fin mars, il dégainait El Ndjoum qui nous occupe ici, avec Mazalda et déclarait à Pan African Music : « On aurait pu faire ça en Algérie au studio de Rachid Baba Ahmed, construit à l’identique de Studio One, mais finalement, ici on est chez nous, et dans ce quartier, on a l’impression de vivre au milieu du monde. Ca ressemble à ma musique, explique la voix profonde de Sofiane. Moi j’ai jamais compris ce que voulais dire la world, j’ai toujours été traversé par pleins de cultures, rock, jazz, electro, etc. Mes musiciens sont de Lyon, d’Auvergne, de Sicile ou des Vosges, mais ils ont intégré les cultures africaines comme faisant partie de leur culture. Quand ils entendent des quarts de tons, ça ne les choque pas. Alors que moi arrivant en France, il y a 27 ans, j’osais pas jouer ça de peur qu’on me dise c’est quoi cette fausse note ?! » Et c'est vrai que c'est beau à tomber (d'ailleurs, je suis resté assis!) 

Et comme Rachid Taha qui va bientôt sortir un album enregistré en Afrique avec Yan Péchin l'automne dernier : « J’ai cet esprit de Paname en moi : sortir à 2 heures du matin, acheter une flasque de whisky chez l’épicier, aller dans un club à 3h du mat’, puis écouter du jazz et aller manger des huîtres à Gare du Nord quand le jour se lève ! » Avec Sofiane Saidi, on a bien l'impression de voir surgir une nouvelle vision électro-maghrébine avec ce Prince du Raï 2.0 selon Radio Nova, mêlant science orientale et urgence contemporaine, avec le son vivant et foisonnant des virtuoses Mazalda : synthétiseurs analogiques, saz et cuivres nourris aux phrasés du mezoued, de la gasbah et une rythmique ultra-dansante articulée autour d’un drabki venu des profondeurs du Raï. On assiste ici à une « Plongée rock fiévreuse dans le raï des eighties, avec synthés en grande pompe, groove psychédélique, rythmes trépidants de mbalax sénégalais ou de transe gnaouie, et la voix grave, âpre et abrasive du chaleureux Sofiane Saidi

La Classe Fi Las Vegas, comme il le dit lui-même sur un titre de l'album. Passé ce matin sur Nova, dans la Matinale d'Edouard Baer, c'était chaud - et ça ne vas pas tiédir d'ici ce soir à Epinay. Je serais vous, vous m'y retrouveriez… 

Jean-Pierre Simard le 5/04/18

Sofiane Saidi & Mazalda - El Ndjoum - AIRFONO / Carton Records

En concert ce soir Jeudi 5 avril à 20h30 au Pôle Musical d’Orgemont à Epinay-sur-Seine
Tarifs : 16 à 10 € (pour les Spinassiens et les abonnés de la saison culturelle) dans le cadre de Banlieues Bleues