Willy Ronis, retiré de frais dans le XXe à Paris
Willy Ronis par Willy Ronis, jusqu’à fin septembre au Pavillon Carré de Baudouin, à Ménilmontant-même, au centre de ses anciennes exactions. Enjoleur !
Très belle exposition qui concentre un regard ouvert sur le monde, Paris, les Provinces, l'Italie, Venise, et toutes ces "petites gens", cette classe ouvrière des années 30: ces oncles et tantes, ces amis d'autrefois, ce peuple à la gouaille atmosphérique d'Arletty. Ici, vertement présent, corps et âmes.
Le Photographe se tient dans son regard. Regard profondément sympathique, amical, résolument engagé, viralement humaniste et surtout, plein de cette tendresse des poètes qui aiment sans compter, qui attendent solitaires, l'instant où se compose l'image en eux, au pli de l'instant comme des chats, questeurs de lumière, matière noble et subtile par laquelle se coule toute leur instantanéité.
Sa photographie se nourrit de ce plaisir, profond et caressant, de retenir ce tempus fugit aux rais de l'image, une façon très présente de lire a contrario notre époque où tout tend à disparaître. Ici, tout s'affirme, tout prend sens à travers l'harmonie, celle qui fait tant défaut dans la réalité du quotidien où le regard peine à trouver son enthousiasme, à faire cette beauté qui résulte d'un travail, d'une tension, d'un désir.
Willy Ronis vu par Willy Ronis, mis en espace par Gerard Uferas et Jean Claude Gautrand, fait vivre à travers une scénographie claire, l'intensité de l'oeuvre, un monde mu par la force de l'âme, engagé dans des combats de douceurs et d'élégances, de célébrations d'un Homme qui fut, à lui seul, un témoin éveillé, un homme parmi les hommes, vibrant de ce que fut sa vie, ici, compter douleurs, combats, tristesses. Mais aussi: joies, amours, beautés, tendresses, laissant aux sels d'argent le pouvoir d'inscrire la forme et la présence du rêve majeur et poétique, sur papiers insolés, photographies giboyeuses, ce que le chant inspiré accorde à l'âme. Dès lors, ses soleils argentiques brillent sous la coupole, irradient leur paix intime, contemplent la nuit, pour de singulières épiphanies personnelles et radieuses.
Radiance des beautés qui firent ce Paris, entre autre, dans la limpidité du secret sincère et dont, aujourd'hui, le souvenir témoigne, plus loin et plus longuement que tout discours. Willy Ronis , mage en certains points, fortifie le présent de ces années lointaines et donne à voir ce qui nous manque terriblement aujourd'hui, dans un retournement du regard sur notre époque.
Que nous manque-t-il pour faire partie de ces hommes? Là où un réel faisait sens clairement, que s'est-il passé après 68, dont nous fêtons les cinquante ans ces jours-ci, pour que renaissent les soleils de la raison dont le Bal en suspens montre la disparition et que Butor aussi décrivit, qu'avons-nous perdu de ce que Willy Ronis montre si ostensiblement poétiquement au Pavillon Carré de Baudoin? Peut-être le seul pouvoir d'être libre et de dire Non à la pornographie des sentiments et aux jeux des pouvoirs... au projet funeste et sans aucun sens qui se profile négativement…
Ronis communiste et libertaire dans l'âme. De cette liberté qui effraie tous les pouvoirs quand elle éclaire les hommes et les peint comme ils sont, c'est à dire tragiques et secrets, coupables et attentifs, sérieux et rieurs et toujours disponibles à eux mêmes :humains, terriblement humains, pour enfanter le rêve et la présence du Monde en soi, revu et corrigé, débarrassé de ses scories, dans leurs tremblements essentiels, comme une couleur de ciel et de terre mêlées, d'alcools apollinariens, de matières essentialisées et douces au regard, de temps infusé. Tous ces combats pour le temps présent, temps meilleur et plus égalitaire, quelque chose dont le souvenir est l'impérissable moteur et la vie; cette aletheia grecque, de l'autre côté de l'oubli et de la mort, du côté du vivant et de l'existant - pour mieux réaffirmer: c'est ici et maintenant!
Peu importe que le temps ait passé et l'époque disparu, une permanence s'est établie entre Willy Ronis et aujourd'hui, permanence du témoignage et de la simplicité apparente de sa photographie, harmonie des Maîtres, points d'orgue qui résonnent parfaitement en soi, et qui font la clarté du regard, la puissance échue de l'instant, le bonheur épanoui et circonspect, (on dirait aujourd'hui la jouissance) du photographe et de l'être, la légèreté du pas, la beauté ailée du songe. Car ici, tout est délié, toute lumière prenant la forme de cet allègement devenu princier, royal, régalien, vibrant comme l'air. Et, je pense à Chagall, à Renoir, peintre et cinéaste, père et fils, à Carné, Apollinaire, Ferré, Char, Prévert, Arletty, Ponge, Simenon et Mallet.... Toute une pensée formelle s'incarne chez Ronis.
Allez donc, sans réminiscences et librement, vous promener dans ces instants choisis et désirés. Il y est question, en quelques points, d'un testament, d'un leg. Mais, surtout, d'une connivence et d'une séduction, où il vous est loisible de voyager en cet œil, aussi longtemps qu'il vous tiendra en sa majuscule attention, faite d'humilité, sur des chemins de simplicité; quand le monde se donnait sans fard, sans détour, franchement et que tout était dit au premier coup d'oeil. Alors un film commence…
Willy Ronis devient, en quelques heures, un ami de toujours. Bel hommage salutaire, la qualité des tirages noir et blanc est irréprochable, comme les neuf chapitres qui déploient quelques 200 tirages exposés, soit un tiers de ce que Ronis avait pensé extraire de sa production, pour projeter son oeuvre jusqu'à nous. Je crois qu'un formidable travail de conservation du patrimoine photographique a été entrepris et qu'il trouve aujourd'hui toute sa raison.. L'Etat français honore ainsi sa mission et rend hommage à son donateur, ,en un auguste retour réjouissant. De plus, le Pavillon Carré de Baudouin, rue de Ménilmontant dans le 20 ème est au coeur du quartier photographié quelques soixante ans plus tôt.
Pourrait-on imaginer une promenade à partir des lieux photographiés?
Pascal Therme le 2/05/18
Willy Ronis par Willy Ronis -> 29/09/2018
Pavillon Carré de Baudouin. 121, rue de Ménilmontant 75020 Paris
-> de 11 à 18h, du mardi au vendredi. Entrée libre.