Twin Peaks Saison 3, le film de 18 heures de David Lynch

Retour à Twin Peaks : "Ce n'est ni un film, ni une série, c'est un tout, une manière d'être."David Lynch

Kyle McLachlan : Dale Cooper 

Twin Peaks : The Return est enfin disponible, depuis mardi dernier, sous la forme idéale de coffret DVD ou Blu-Ray.. David Lynch, qui l’a entièrement réalisée et co-écrite avec son complice des origines, Mark Frost, a conçu son retour comme un long film de presque 18h, un film-somme qui convoque, comme dans toute bonne  séance de spritisme, toute sa filmographie, d’Eraserhead à Inland Empire. Dix ans après avoir tourné ce dernier, et alors qu’on le croyait perdu pour de bon pour le cinéma, éreinté qu’il était des difficultés à imposer ses visions à de frileux financiers, David Lynch réapparaît en créateur à jamais libre et dans la totale plénitude de son art.  En état de grâce. 

Et, pour prouver que ça ne rigole pas, Bertrand Mandico, le réalisateur du fabuleux Les Garçons Sauvages affirmait dernièrement sur France Culture  : David Lynch est le seul cinéaste qui arrive à me faire peur de façon métaphysique. Après avoir vu la saison 3 de Twin Peaks, je me suis même demandé si je pouvais continuer à tourner des films. Ce fût une cure de jouvence

Le coffret DVD propose en bonus une série de making of qui montrent le cinéaste au travail, attentif, concentré, vibrant, aimable, patient… Hyperactif, puisqu’il s’occupe aussi du sound design, écrit des chansons et met la main à la pâte pour les effets spéciaux: on le voit râper un cône de polystyrène, concocter un liquide sanieux ou sculpter un masque en pâte à pain.

Est-ce le futur ou est-ce le passé? La question résonne dans la Loge noire, cet hypogée tapissé de rouge où stagnent les agents du Mal et leurs victimes. Elle résume l’entreprise lynchienne. Excellant dans la composition de tableaux rétro-futuristes, ce maître du bizarre brouille les cartes du temps et attise la nostalgie. Il retravaille tous ses motifs, la bague à pierre verte, le café et la tarte aux cerises, les câbles électriques qui grésillent et les canards en bois équilibrant les décors intérieurs. Les épisodes se terminent au Bang Bang, le bar où se damnait Laura, sur une chanson live. Entre des cow-boys new wave et des bluesmen industriels se produisent Rebekah Del Rio, la diva latino du club Silencio (Mulholland Drive) et la diaphane Julee Cruise qui au même endroit, en février 1989, susurrait Questions In A World Of Blue…

David Lynch convoque tous les personnages, les vivants et les morts, le shérif Truman, le deputy Haw, Bobby Briggs, Nadine la borgne dingue de tringles à rideaux, Shelly Johnson, Big Ed, le Dr. Jacoby… Ces icônes de la pop culture ont pris un coup de vieux. Le directeur adjoint du FBI, Gordon Cole (David Lynch), a les cheveux gris. Les jeunes filles en fleur de 1990 sont des femmes mûres marquées par la vie. Au Bang Bang, la séduisante Audrey Horne (Sherilynn Fenn) refait sa fameuse danse lascive. Une bagarre interrompt l’impromptu bouleversant. La danseuse se retrouve aussitôt, livide et terrifiée, face à un miroir. En quel asile, en quelle morgue repose-t-elle, cette rêveuse épuisée?

David Bowie, qui jouait le fantomatique agent Phillip Jeffries dans le prequel cinématographique Twin Peaks – Fire Walk With Me (1992), revient sous la forme d’une cafetière géante émettant des signaux de fumée. David Lynch filme la mort au travail. La Dame à la bûche (Catherine Coulson) fait ses adieux devant la caméra: «Je suis mourante. Vous savez que la mort n’est qu’une transition, pas la fin.» Atteinte d’un cancer, elle est décédée pendant le tournage. Depuis, Miguel Ferrer (l’agent Albert Rosenfeld) et Harry Dean Stanton (le gardien du camping New Fat Trout) l’ont rejointe. Lynch invite aussi de nouveaux personnages, comme Freddie, le petit Anglais dont la main droite est aussi puissante que le marteau de Thor. Et il donne un visage à Diane, la destinataire des messages que Dale Cooper laissait sur son dictaphone: elle s’incarne en Laura Dern, la comédienne fétiche de Lynch. Quand Diane embrasse Dale, on remonte le temps jusqu’à Blue Velvet (1986).

Avec le fantabuleux épisode 8, Lynch repart sur les traces d'Hiroshima pour un morceau de bravoure qui n'aura d'égal que la fin de la série … Est-ce le passé ou est-ce le futur? Au générique de fin du dernier épisode, Dale Cooper et Laura Palmer sont réunis dans la chambre rouge. Elle chuchote à son oreille des paroles de réconfort. Tout s’éclaircit peut-être pour lui; pour les autres, les mystères de Twin Peaks restent impénétrables.

Gordon Jacoby le 19/04/18

Twin Peaks The Return ( Saison 3) - édition coffret FNAC