Beauté Noire contre les anti-dreyfusards

Fin dix-neuvième siècle, la haine gagne du terrain en France. A l'image de l'affaire Dreyfus, les complots antisémites pullulent. Un groupe aux méthodes expéditives agit dans l’ombre pour protéger Clémenceau, Zola et d’autres. Premier tome d’un excellent diptyque.

En 1898, dans un château en Bavière, une tablée de nobles franco-allemands fête le nouvel an, servis par quatre femmes noires, torse nu et en pagne. Les insultes racistes et les propos antisémites rythment la soirée. L’une des jeunes femmes, Lou, s’éclipse dans les escaliers et va ouvrir la fenêtre à une complice, Anne, rousse, tout de noir vêtue, qui a escaladé sous la neige la façade. Il s’agit de voler des documents qui prouvent l’imminence d’un projet d’assassinat contre Theodor Herzl, qui vient de fonder l’organisation sioniste mondiale. Les deux jeunes femmes sont découvertes par quatre des hommes de la soirée, qu’elles désarment facilement avant de s’enfuir, en en tuant un au fleuret au passage. Toute la gente masculine se jette à leur poursuite, mais elles ont eu le temps de retourner auprès de leurs amis, dans un cirque ambulant. Anne oppose aux poursuivants des tigres et des lions qui ne font qu’une bouchée des assaillants. Le comte Von Rotstein réussit à se sauver mais, arrivée au château, sa complice, la grande diva Schitzberg, lui fait payer son échec en le jetant par la fenêtre. Quelques jours plus tard, les membres du « cirque » se retrouvent avec l’une des convives, qui s’était infiltrée au dîner, la duchesse Spitz. Ils ont réussi à déjouer l’assassinat et doivent désormais assurer la protection de Clémenceau, directeur du journal L’Aurore. « Ils », c’est une société secrète nommée le « groupe Prospero ».

Ce qu'on en pense sur la planète BD :

Au tournant du XIXème, l'état du monde a été d’une saleté à faire frémir. L’ancien monde est secoué par les révolutions et la prise de conscience des prolétaires. Les ennemis des nobles, des affairistes, des gens installés depuis toujours dans la richesse et le pouvoir sont désignés : les juifs, les francs-maçons, les communistes. Mais, après l’échec de la Commune de Paris, la menace communiste écartée, la haine et la fureur en France (comme un peu partout en Europe) se reporte sur les deux premiers. C’est ainsi qu’un pauvre lampiste, le capitaine Dreyfus, qui a la malchance d’être juif, est condamné à tort pour trahison. La France est coupée en deux, entre les dreyfusards et les anti-dreyfusards. C’est dans cette ambiance délétère que Noël Simsolo a choisi de bâtir son scénario. On le sait, les complots antisémites sont légion à l’époque (pour les courageux, le magnifique pavé d’Umberto Eco Le Cimetière de Prague épuise presque ce thème). Simsolo a choisi d’inventer un groupe chargé de déjouer ces manœuvres racistes et antisémites. Ce groupe Prospero est constitué autour de belles jeunes femmes, une blanche et rousse, Anne, l’autre noire, Lou, qui a grandi auprès de Zola et Renoir. Lou veut se venger de la mort de son père. Les personnages sont attachants, le scénario est haletant et le séquençage particulièrement efficace. La mise en images d’Olivier Balez est dynamique et donne une belle vie à l’histoire. Son encrage assez appuyé tranche joyeusement avec l’absence de cadre des vignettes et des phylactères. Son travail sur les couleurs permet de donner au récit une place centrale, purement dans l’esprit de la ligne claire, avec des aplats et des jeux d’opposition au service du premier plan.

Pour leur première collaboration, Noël Simsolo et Olivier Balez offrent une série d’action portée par une troupe de héros charismatiques, loin des stéréotypes. Plus qu’un hommage, une véritable relecture post-moderne de la BD d’aventure sur le théâtre de la grande histoire, portée par une ligne claire d’une rare élégance. Un premier récit en deux tomes.

Noël Simsolo et Olivier Balez - Beauté Noire, tome 1, Les Chasseurs de haine, éditions Glénat