“The Private Eye”, la bd hors réseaux de Marcos Martin et Brian K. Vaughan

Le Cloud a implosé, et avec lui tous les secrets les plus précieux de l'humanité, des trafics les plus illicites aux photos de voyage du citoyen lambda, se sont retrouvés à la portée de tous. Désormais, nous évoluons masqués, seul moyen de protéger ce qu'il reste de notre intimité. Bienvenue dans une société post-Internet. Et merci aux GAFAM de l’avoir conçue.

2076, Los Angeles. L’action de The Private Eye, se situe au sein d’une société dystopique où Internet et nos réseaux de communication ont totalement disparu. Déluge d’un genre nouveau, un jour le cloud éclata à l’échelle mondiale et chacun vit tous les détails de sa vie personnelle, et donc intime, littéralement pleuvoir sur le monde, accessible à n’importe qui pendant quarante jours. À la suite de quoi, de nouvelles lois furent instaurées pour protéger la vie privée des citoyens. La technologie servit à élaborer des masques d’un genre nouveau préservant à tout instant l’identité de chaque individu, l’usage de pseudonymes devint la norme dans tout rapport social, la presse et les médias en général - le quatrième pouvoir donc - remplacèrent la police tandis qu’archives et bibliothèques devinrent de véritables sanctuaires. Et c’est alors qu’un flic sans licence, simple paparazzi (P.I. le héros) se retrouve à mener une enquête sur la vie d’une femme qui veut retrouver son passé, mais va bientôt mourir à son tour. En route pour un polar qui revisite les codes du genre dans un monde qui se veut tout sauf dystopique.

Publié sur Internet depuis 2013, sans même avoir recours à un éditeur, The Private Eye est né d’un questionnement de son auteur, Brian K. Vaughan (Saga, Paper Girls, Lost, Le Dernier Homme…), qui n’avait pas de réponse à la question très actuelle du “en quoi la croisade que mène notre génération contre la vie privée est-elle un bien ou un mal pour la société ?”  La réponse est bien là qui est arrivée au fil des mois, en demandant aux lecteurs de participer financièrement aux parties de l’œuvre qu’ils avaient envie de lire. De plus, peu usité aux USA, Brian K. Vaughan & Marcos Martin ont employé un format à l’italienne que l’éditeur français Urban Comics a repris, comme souvent.

Dans une ambiance urbaine spectaculaire qui emprunte beaucoup au premier Blade Runner, Brian K. Vaughan déroule un polar urbain et novateur, tout en affichant une réflexion poussée sur les enjeux des nouvelles technologies, fossoyeuses de nos libertés les plus intimes. Du comique des situations et des interrogations au présent sur le devenir de notre monde pour l’instant encore connecté, en passant par le graphisme net, clair et aéré de Marcos Martin, couplé aux couleurs vives et rutilantes de Munsta Vicente, tout vient bousculer les standards graphiques connus. C’est vif et neuf, mais le contraste créé entre le propos, qui demeure grave et percutant, et le dessin chatoyant donnent un vrai coup de jeune au genre emprunté.

Tout se joue ici grâce à l’emploi du thème de l’information déployé à travers la Presse, devenue forces de l’ordre armées pour de vrai , en lutte contre les paparazzi, délinquants numéro 1 dans ce monde nouveau dépouillé d’Internet et veillant jalousement sur la vie privée.

Le comics fut le premier à être pré-publié directement sur Internet, sur le site PanelSyndicate.com qui fut créé pour l'occasion. Davantage d'infos sur le concept sont proposées dans le dossier qui suit l'histoire, un échange de correspondances entre l'auteur et le dessinateur, qui met également en lumière le processus de création de cet excellent comics assez visionnaire pour son année de parution.

Maxime Duchamps
The Private Eye de Marcos Martin et Brian K. Vaughan, Urban Comics