Pyongyang vue par Eddo Hartmann : tout est affaire de décor
Au pays du " Si tu m'embêtes, j'appuie sur le bouton nucléaire", Eddo Hartmann s'est rendu quatre fois pour saisir l'état d'esprit de la capitale Pyongyang. Une expo à Amsterdam et un livre en parlent, nous aussi !
La Corée du Nord reste un mystère pour la plupart des gens, même ceux qui s'y sont rendus plusieurs fois. Coupée du reste du monde et dirigée par un apparatchik autoritaire anxieux, la petite nation communiste censure avec application toute information à son égard ou émanant d'elle. Il est, à ce titre, bien hasardeux d'en comprendre ce qui ressort de la normalité versus des fake news de la propagande locale.
Pyongyang, la capitale, entièrement détruite pendant la guerre de Corée, a ainsi été rebâtie - du sol au plafond- par le gouvernement qui s'est aligné sur les standards de construction du Moscou de la guerre froide, de Berlin-Est et de Varsovie (ce qui se fait de mieux dans le genre couloir à vent et à canon, sur un modèle haussmannien), tout en balançant le pesant symbolisme du succès socialiste d'une soi-disant ère moderne. Aujourd'hui encore, on peut (peut-être) déambuler dans une ville massive, impersonnelle et intimidante, remarquable surtout pour son absence de piétons dans les rues, comme de travailleurs ou de véhicules. Cette ville-fantôme, vaste décor cinématographique est censée promouvoir la croyance en quelque chose qui n'existe plus. Alors, s'y déplacer, c'est un peu comme retourner dans les années 50 et lever le nez sur une architecture qui n'a jamais fait bouger ses lignes depuis.
"Gentiment" accompagné par un comité de censure qui n'hésitait jamais a vérifier ses cadrages avant de le laisser déclencher, le Hollandais Eddo Hartmann a quand même pu se rendre quatre fois sur place, lors de voyages officiels pour mener à bien son projet. Il en a rapporté des clichés qui mêlent façades d'immeubles et vue de propagande (pour faire bonne mesure) qui laissent passer la sensation de solitude qu'on peut éprouver dans la moindre rue, les immeubles ou les parcs- tous contrôlés par le gouvernement qui ne s'en cache pas.
En décidant de pauser tous ses clichés, Hartmann incite à regarder de près les larges perspectives offertes et les intérieurs architecturaux pour en observer chaque détail et montrer ainsi, ce qui manque à chaque plan.
En dehors de son appareil photo moyen format, il a aussi utilisé une caméra vidéo sur pied, un reflex numérique et une caméra à 360° pour shooter. Il gardait loin de la vue des censeurs une GoPro qu'il a utilisé chaque fois que c'était possible, comme par exemple quand ces derniers le faisaient naviguer d'un monument obligatoire à un autre site (d'après eux) remarquable.
Ce qui nous est montré l'est en creux, car il n'y a pas de point de comparaison dans ces rues exsangues de vie, avec une population reléguée loin des circuits officiels, sinon que l'accumulation des images mises bout à bout offre un autre regard sur une ville qui voudrait être, mais ne l'est pas du tout…
Koen De Ceuster qui a écrit la préface du livre Setting the Stage (titre original) déclare : “Derrière les façades de Pyongyang, vivent trois millions de personnes cachées à la face du monde, pour ce qui est de leur vie quotidienne. La ville ne représentant qu'une façade du régime où les visiteurs sont guidés d'une station à une autre, au fil d'un chemin de croix censé représenter l'avenir en une pantomime sans fin… Chaque histoire, chaque visite commence et se termine à la gloire des grands leaders qui, de fait, absorbent la lumière comme dans un trou noir.”
Setting the Stage, photographies de Eddo Hartmann
Texte original de Jim Casper, adapté par Jean-Pierre Simard le 2/03/18