La matière Fautrier enfin dévoilée
L'Outsider français de l'art moderne Jean Fautrier voit enfin arriver la rétrospective, qu'il méritait depuis trente ans, au MAM.
D’emblée, sa peinture intriguait par son climat résolument suggestif et étrange, et son anticonformisme comme sa modernité sinueuse s'inscrivaient trop en décalage des mouvements et repères picturaux basiques.
Toute sa vie, Jean Fautrier se sera tenu à l'écart des modes et des écoles, œuvrant en solitaire et récusant même le surréalisme naissant, en affirmant que "puisque cela faisait école, c'était déjà dépassé. "Il est, avec Jean Dubuffet, le plus important représentant du courant de l'art informel (tachisme). Il est aussi un pionnier de la technique de haute pâte. A la mort de son père, au début des années 1910, il s'installe avec sa mère à Londres et est admis à la Royal Academy à quatorze ans. En 1917, il s'engage dans l'armée, puis s'installe à Paris où il expose pour la première fois en 1921. Dès 1927, il réalise des portraits, des natures mortes, des paysages, animaux écorchés, nus soit une peinture figurative, souvent sombre par les couleurs employées.
Fautrier est lié à l’histoire des collections et de la programmation du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Dès 1964, le musée présentait sa première rétrospective, réalisée en étroite collaboration avec l’artiste, suite à son importante donation. En 1989, une seconde apporta un nouveau regard sur l’ensemble d’une oeuvre riche, variée et particulièrement singulière. Cette nouvelle exposition vient près de trente ans après la précédente. Elle est composée d’environ 200 oeuvres - dont près de 160 tableaux, dessins et gravures, ainsi qu’un important ensemble de sculptures - issues de nombreuses collections publiques et privées, françaises et étrangères. L’exposition comprend la quasi-totalité de la donation faite par l’artiste au musée, complétée au fil du temps par d’importants dons et achats. Le MAM dispose aujourd’hui du plus important fonds Fautrier dans ses collections muséales (plus de 60 oeuvres).
La carrière de peintre de Jean Fautrier débute dès 1920. Sa peinture, alors figurative, est constituée de natures mortes, paysages et nus qui vont d’un réalisme cru à une représentation faite d’une lumière sombre aux formes presque abstraites. Après une brève reconnaissance, la crise économique de 1929 a finalement raison de sa carrière d’artiste. Contraint de quitter Paris, il s’installe au début des années 1930 dans les Alpes où il vivra plusieurs années, travaillant comme moniteur de ski et gérant d’un hôtel avec dancing; puis de plusieurs avec un succès certain. Mais ,une fois encore la guerre l'obligera à bouger.
De retour à Paris en 1940, il retrouve ou rencontre des écrivains tels qu’André Malraux, Francis Ponge, Paul Éluard, Georges Bataille et surtout Jean Paulhan qui sera son plus fervent défenseur. En 1943, arrêté par la Gestapo, puis relâché, il se réfugie dans une clinique d’aliénés de la banlieue de Paris. Dans les bois environnants, les Allemands torturent des prisonniers et se livrent à des exécutions sommaires. Il a tiré de ces atrocités une série de petits panneaux qu’il appelle Otages. Il réalise aussi des sculptures, la grande Tête d'otage sera la dernière. Bien qu’André Malraux et Jean Paulhan lui servirent d’intercesseurs, sa peinture ne fut guère prisée à ses débuts. Par son climat, la peinture de Fautrier se rapprocherait plutôt de celui de l’Europe du Nord ou de certains artistes flamands. Ses tableaux sombres peuvent parfois faire songer à de Vlaminck, voire à Derain,
Delvaux ou même Balthus pour l’immobilité fixe qui se dégage de ses nus et portraits.
Le monde de Jean Fautrier ? « Excessif, monstrueux, violent, comme abusif, où les poires sont plus grandes que les poires, et les fleurs plus convulsées que des fleurs » Jean Paulhan 1962.
Dans ses célèbres séries - Otages (1943 1945), Objets (1955), Nus (1956), Partisans (1957) - les effets de matière deviennent le sujet principal de l’oeuvre. Jean Fautrier utilise une peinture à la colle qui mêle les masses de pigments aux encres transparentes ou opaques, d’où émergent des harmonies recherchées et lumineuses, créant ainsi des empâtements et des textures variés provoquant une certaine angoisse.
En 1945, Fautrier decide de louer la Villa Barbier et de s’y installer avec sa famille. Il travaille a l’illustration de différents livres, dont L’Alleluiah de Bataille. Il expose cette même année a la Galerie Drouin, avec un catalogue d’oeuvres présentées par Andre Malraux.
Mais Fautrier ne parviendra pas a une réelle sécurité matérielle avec la vente des ses tableaux, et déçu par ses ventes, il essaie avec sa compagne Janine Aeply, en 1950, de mettre au point un procédé de production, dont
les originaux multiples lui permettant de vendre des peintures moins chères que celles proposées en galeries.
Entre 1953 et 1956, Jean Fautrier poursuit ses expositions en France et l’etranger, malgre le faible succès de ses oeuvres.
En 1956, en réaction a l'invasion de Budapest par les Russes, il reprend le motif des Otages pour la suite des Têtes de partisans, comme variations sur le poème de Paul Eluard "Liberté, j'écris ton nom" écrit en 1942.
Il poursuit son travail les années suivantes avec des toiles plus structurées dans lesquelles se superposent et s’entrecroisent des lignes colorées, des stries, et grilles de plusieurs côtés.
En 1960, il est célébré à la Biennale de Venise avec le Grand prix de peinture qu’il partage avec Hans Hartung. Fautrier meurt durant l’été 1964, peu après sa première rétrospective au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
Aujourd’hui, redécouvert, il est considéré comme le plus important précurseur de l’art informel de la fin des années 20 et comme un exceptionnel explorateur de la matière.
L’exposition et une reprise de la rétrospective Jean Fautrier de l'été 2017 au Kunstmuseum de Winterthur (Suisse) complétée des oeuvres du Musée d’Art moderne, de plusieurs musées français et de collections privées. Et on y découvre un jalon ignoré de la peinture du XXe siècle. Rien moins…
Gilles Dalose le 02/02/18
Jean Fautrier Matière et Lumière -> 20/05/18
MAM 11, avenue du Président Wilson 75116 Paris