Les souris avec la philo dans le plafond

De menus trottinements dans un grenier pas si exemplaire, extraire un songe philosophique et poétique comme une campagne première.

Quésaquo ? Qui va là ? Qui ose ainsi troubler le « sommeil de ses nuits » ? Qui ? Ruées de souris délurées en mode Roland Petit ? Lapin blanc réchappé d’un grand livre et visiblement en retard ? Sauterie de loirs amateurs de bonne chair ? Réunion de petits rats à l’heure de l’apéro ? Jules s’interroge, en se frottant les yeux, ou en se gRATtant la tête ; l’un après l’autre ou les deux à la fois, si c’est possible.

Publié chez Tinbad en janvier 2018, trois ans après le fort étonnant « Pauvre Baudelaire » aux Doigts dans la Prose, ce nouveau texte de Jules Vipaldo confirme s’il en était besoin l’insolente manière du poète dans l’assemblage de mots d’abord anodins, pour, à vitesse grand V, prendre très vite une course d’élan les propulsant vers un choc salutaire des significations. Ainsi, des trottinements de rongeurs dans un grenier de campagne que révèle l’insomnie, de la résistance d’une pelouse au motoculteur pourtant dûment armé, ou encore une tentative de réparation automobile deviennent autant d’occasions précieuses de convoquer, sous un feu roulant de calembours et de détournements, le ban et l’arrière-ban de la poésie, ancienne, moderne ou contemporaine, pour, à nouveau s’en marquer et s’en démarquer, mélangeant étroitement faux mépris et vraie affection à l’égard des uns ou des autres, dans un joyeux chahut de la forme retravaillée au corps. Comme dirait ailleurs Christian Prigent, voici donc un beau festival d’appeaux de signification, redoutablement efficaces – cornaqués à l’occasion par le fantôme sarcastique du précédent éditeur de l’auteur.

Le moteur à deux temps du petit engin, à quatre roues motrices, ronronne, avalent ou dévalant reliefs et pentes, vitupère parfois, montant dans les aigus, lorsqu’il presse l’accéléRATeur, ou que le dénivelé se fait plus raide, tandis que les trois lames rotatives fauchent la vie des plantes.

Assembler les éléments d’un décor de campagne, agricole et militaire, pour y bâtir subrepticement, dans l’explosion de la joie malicieuse des mots (en mobilisant toutes les ressources de la typographie et des simultanéités que permet la mise en page justement malmenée), un songe philosophique et poétique, platonicien s’il le faut, danseur et deleuzien lorsque l’occasion se présente (on rêve alors d’un véritable ballet d’engins agricoles devenus rats d’opéra pour émouvoir sur un sort de désertification avancée, peut-être), qui est bien loin de se résumer à, sous l’emprise du manque de sommeil, voir et entendre des souris partout.

Cependant, Jules préfère être plutôt rouge que noir et plutôt rouge que poire. « Oui, soyons plutôt « rouge-pinard » que « verts de rage Pindare » », lâche-t-il à la terrasse du bar PMU où son libraire tient parfois bureau et cercle de réflexion. « Plutôt écarlate (de l’éclat) qu’homme en noir, dévot du système des veaux, engoncé de certitudes et servitudes éconormistes, et aux pensées serrées dans un portefeuille de mésactions notoires : banquier, conseiller commercial, expert qui gagne à être oublié, repré de basse maison d’éviction, philosophe des médias ou ecclésiastique rasoir. » Et, dans le même désordre d’idée, il préfèrera être rouge-gorge (flûté) plutôt que corneille ou freux (lattés).
Que voulez-vous, c’est un rouge, un vrai ! Un « qui voit rouge » tout le temps, un gus qui s’énerve facilement / fatalement devant l’ordre des choses, et leur état (qui le mettent, pour sûr, dans tous ses états). Un excité qu’il convient de citer dans le texte : « dindon féroce de la farce commune ». Bref, un « sale rouge », un brin chiffonné, tire-bouchonné et réchappé, on se demande bien comment, du maccarthysme le plus raide / red, de la chute des bures (de merlin) et de la morve des idéologies mort-nées (les idéolo ci-gît) !

Ce qu’en dit superbement Jean-Paul Gavard-Perret dans Le Littéraire est iciJules Vipaldo lira des extraits du « Banquet de plafond » et répondra aux questions à la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris), ce jeudi 22 février à partir de 19 h 30.

Jules songe à relire Butor ou à se replonger dans l’œuvre fildefériste mais ludique de Calder. En voilà un qui expérimentait la légèreté d’une syntaxe oscillante, savait placer « point d’ironie » et « frêle équilibre », et titillait, à tous coups, le sens amusé de sa gravité créatrice.

Le banquet de plafond de Jules Vipaldo, éditions Tinbad
Charybde2 le 16/02/18
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