Luc Chomarat invente un vrai-faux petit chef d'œuvre de littérature
Comme avant lui « Daimler s’en va » de Frédéric Berthet (1988, éditions Gallimard), « Un petit chef d’œuvre de littérature » est un livre sur lequel il est difficile de gloser, par peur de faner le ton mêlé de fraîcheur et de désenchantement, la légèreté mélancolique et profondément attachante de ce récit.
« C’était un petit chef-d’œuvre de littérature. Sur l’étagère, malgré son peu de volume, il n’hésitait pas à tutoyer Proust.
– Comment vas-tu ?
– Non mais, dites donc, le rembarrait Proust, qui était un peu à cheval sur les bonnes manières.
Il plaisait beaucoup aux filles. Sur l’étagère, il était très entouré. Eugénie Grandet, La Dame aux Camélias, Madame Bovary et La Comtesse aux pieds nus.
– Mais vous êtes un film !
– Je ne t’ai pas sonné, répondit La Comtesse aux pieds nus.
Elle était un peu susceptible.
Mais globalement, ça se passait bien. »
Sans doute est-ce aussi parce que le livre de Luc Chomarat est un inclassable, un livre qui chemine hors des conventions et des catégories qui brident écrivains et lecteurs. Et d’ailleurs le livre éponyme, personnage central du récit, ne trouve pas tout de suite à être publié, les maisons d’édition lui répondant, les unes après les autres, que le manuscrit n’entre pas dans le cadre de leurs collections.
« Comme il arrive souvent, une partie de sa réputation venait du fait qu’il avait été refusé par presque toutes les maisons d’édition connues.
C’était une partie de sa réputation. Un cinquième environ. Deux autres cinquièmes étaient occupés par le peu d’information qu’on avait sur lui. Une opacité. Leurs doigts glissaient sur la surface lisse du peu d’information.
Le cinquième suivant tenait à ce que Murakami Haruki avait dit à son sujet : « C’est un petit chef-d’œuvre de littérature ». Tout le monde avait suivi. Il l’avait dit en japonais, ce qui ajoutait encore au sérieux de l’assertion.
Le dernier cinquième se baladait, pas vraiment inquiet de trouver sa place. Les mains dans ses poches, comme ça, le genre de cinquième qui se fout de tout. »
Après avoir été boudé par les critiques et les bloggeurs, un petit chef-d’œuvre de littérature est enfin reconnu pour ce qu’il est : un petit chef-d’œuvre de littérature. Il se vend à la pelle, est traduit et adapté au cinéma par les Américains. La jubilation de Luc Chomarat est palpable à la lecture de ce livre justement inadaptable où le livre et son auteur, son ami Rastignac, ambitieux séducteur, le critique littéraire, le libraire ou le facteur apparaissent comme des silhouettes qui permettent à l’écrivain de se jouer des clichés, et d’inventer un récit délicieux et absurde où objets et personnes physiques ou morales s’entremêlent, où les auteurs se confondent avec leurs livres et la vie avec la littérature.
« Un petit chef d’œuvre de littérature » saisit l’air du temps, il parle de lui-même sans rien révéler du récit, se considère à la troisième personne ; il brocarde la littérature trop facile, le caractère moutonnier du milieu littéraire et des critiques qui d’abord assassinent le petit chef-d’œuvre, avant de se rallier à cause lorsque les ventes s’envolent, sans que personne ne comprenne vraiment pourquoi ; il raille encore le marketing et les stratégies commerciales des éditeurs, le rachat des petits éditeurs par les gros, la folie des médias, la cuistrerie des blogueurs, les titres qui valsent en librairie, la catégorisation absurde des livres, l’absurdité du succès avec laquelle il est aussi difficile de composer et la floraison interminable des lieux communs.
Sous ce portrait critique du monde du livre, le petit chef-d’œuvre de littérature adore sans sérieux toute une bibliothèque d’auteurs et de livres et compose ainsi une déclaration d’amour à la littérature, à mi-chemin entre la parodie et le terrain de jeu, formant ainsi un pendant littéraire au précédent livre de Luc Chomarat publié chez Marest éditeur, « Les dix meilleurs films de tous les temps ».
« L’alcool devint à nouveau un refuge. Très littéraire. Il suffit de penser à Malcom Lowry. Il ne se réfugia pas dans les drogues. Les drogues, c’était plus rock’n roll que littéraire. Même si Gérard de Nerval, William Burroughs, Henri Michaux. A tort ou à raison, il associait la littérature à l’alcool. Par ailleurs, il avait vendu sa guitare électrique, une Ibanez de bonne facture, sur Le Bon Coin. »
Velda en parle très bien sur Addict Culture ici, et Yann sur Unwalkers ici.
Luc Chomarat sera l’invité de la librairie Charybde (129 rue de Charenton, Paris 12ème) le 12 décembre en soirée, ce qui nous fait vraiment très plaisir.
Luc Chomarat - Un petit chef d’œuvre de littérature, Marest éditeurs
Charybde2 le 12/12/18
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