Les chansons de résistance de Marc Ribot
Comme beaucoup d’Américains, Marc Ribot a eu une réaction viscérale à l’annonce de l’élection de Donald Trump à la présidence des USA. Chagrin, il s’est mis à en étudier l’histoire politique pour en ressortir armé de ce manifeste: Songs of Resistance 1942-2018.
Mixant relecture de standards contestataires et d’autres de sa plume; il a engagé un casting de luxe pour varier le propos : Fay Victor, Justin Vivian Bond, Meshell Ndegeocello, Sam Amidon, Steve Earle, Tift Merritt, Tom Waits, Syd Straw et Ohene Cornelius. Tous les profits de l’album seront ainsi reversés au profit du Indivisible Project.
L’union du jazz et rock fait du traditionnel “We Are Soldiers in the Army” un point d’entrée assez combatif à l’œuvre. Et la version chantée par Tom Waits de “Bella Ciao,” un quasi tube ( dans le meilleur des mondes) tandis que la version écrite par Ribot de “Srinivas”, chantée par Earle and Merritt, s’attarde sur le meurtre de Srinivas Kuchibhotla, jeune sikh tué par qu’on croyait qu’il était musulman. Ensuite, country avec violonades et mandolines en furie sur fond de guitares rock pour “My Country ‘Tis of Thee,” en l’honneur de martyrs américains nommés aussi bien Myra Thompson et Eric Garner que Michael Brown ou Heather Heyer, tuée récemment par un nazi à Charlottesville. “Rata de Dos Patas,” l’hymne mexicain de Paquita la del Barrio, joue le double langage d’un mariachi saupoudré de psychéavec un rap de Cornelius et une voix anonyme d’émigrante qui refuse de décliner son identité pour ne pas tomber sous la coupe de la loi Ice renforcée par l’administration Trump - et c’est du brutal !
Marc Ribot adapte aussi le chant anti-fasciste “Fischia Il Vento” pour Michelle Ndegeocello, rendu brillamment avec guitare, vents, voix, et cordes. Plus loin, il chante le blues apocalyptique “The Big Fool,” en référence aux abus de Trump en s’appuyant sur des extraits allant de W.B. Yeats à Pete Seeger en passant par Allen Ginsberg. Earle et Straw reprennent avec bonheur l’hymne des Droits Civiques “Ain’t Gonna Let Them Turn Us Around”, avant que Ribot envoie le funk soul de “John Brown”chanté par Victor et rappelant les envolées de Mandrill. Tout cela se termine avec le folk de “We’ll Never Turn Back” de Bertha Gober chanté par Bond, un folk song aussi doux qu’acoustique qui chante l’activiste gay des Droits Civiques Marsha P.
Malgré tous les genres musicaux évoqués, on a bien à faire à un album de folk moderne. En mixant ses propres morceaux et en offrant des titres réajustés pour se fondre dans l’époque qui est la nôtre, Ribot réussit à mettre ses propre titres au niveau des classiques repris avec élégance et conviction. Joli coup et comme il le dit lui-même : We’ll Never Turn Back!”
Jean-Pierre Simard
Marc Ribot Songs of Resistance 1942-2018 (Anti-PIAS)