Les prières des vents de Susana Santos Silva

Coincé entre une fin de semaine épouvantable et un week end qui semblait prendre déjà fin avant d’avoir commencé, mes pérégrinations à la recherche de la petite perle de jazz qui me rendrait la vie plus heureuse me menèrent encore une fois bien au-delà de mes espoirs, oserai-je dire au-delà de toutes mes prières ? Justement, parlons de ces Prayers soufflées par le vent de Susana Santos Silva.

Prayers est une album d’une seule pièce de 42:04 minutes de la trompettiste portugaise Susana Santos Silva. Né à Porto en 1979, elle est considéré par ses pairs comme l’une des plus grandes improvisatrices de jazz. C’est une performeuse, soliste d’une singularité remarquable. Elle collabore, dirige énormément de projets dans des formes très libres, du quintet de ses débuts, en passant par des quartets, de nombreux duos, dont un avec le contrebassiste Torbjorn Zetterberg et en solo aussi.

Elle travaille les limites du son, les dépasse, les troubles pour raconter son histoire en inventant ( un tant soit peu ) la nôtre… 

Elle ne peut imaginer vivre sans expériences musicales, avec une rage inventive et un rapport à l’instrument digne des plus grands improvisateurs de Jazz. Comme dans cet extrait du duo qu’elle forme avec la pianiste Kaja Draksler, où elle joue du souffle dans son cornet… Inspiration, expiration, autant sonores que visuelles.

Elle malaxe le timbre de sa trompette. Elle contraste de notes qui s’éteignent sans jamais mourir vraiment. Elle distille une imagerie proche des décors expressionnistes allemands. Image d’une modernité en fin de vie, mais à l’aurore colorée, réchauffée d’une lumière qui vous berce et vous réconforte.

Après une introduction de 9 minutes que l’on croirait sorti tout droit de Nosferatu (version 2005), Susana se joue de la réverbération du lieu. (Le live à été enregistré en février de l’année passée à Lisbonne au chœur du Panteo Nacional).

Elle nourrit son jazz de la mécanique et de tout les possibles que lui offrent les pistons. Si la trompette est un instrument à vent, c’est tantôt une tempête, tantôt une brise étrange qu’elle fait souffler à travers du pavillon. Pas un seul de ses efforts ne semble futile.

Le son s’incarne tour à tour comme chair, âme, corps, mais aussi comme os creux que la porosité rendrait mélodieuse… C’est un paysage aux arbres décharnés, graphique et terrifiant qui, peu à peu, laisse place à des scintillements de soleil à travers les ronces grimpantes, des éclairs qui laissent entrevoir une issue.

Jusqu’aux applaudissements seulement audibles à la toute fin de la performance, rien ne vient troubler cette oraison. Mais c’est plutôt cette oraison, qui vient troubler notre état «d’écouteur», habitué que nous sommes à entendre la trompette d’un jazz volubile, souvent vif et enthousiaste.


Susana Santos Silva, se met plutôt en danger, pousse les limites de son instrument et de la musique, puis nous met en danger avec elle, et doucement, subtilement, nous fais plier les genoux, pour mieux contempler cette parenthèse; non pas pour nous laisser dans la contrition, mais pour enfin se libérer et s’enchanter, pour souffler (un peu) encore, entre parenthèses.

Richard Maniere le 26/01/18
Susana Santos Silva, Prayers, Clean Feed Records