Le rêve américain se noie dans l'éther avec LCD Soundsystem
Enterré lors d'un magistral concert au Madison Square Garden new-yorkais en 2011, le LCD Soundsystem renaît de ses cendres avec cet album - sur les conseils avisés d'un héros défunt : David Bowie. Et partagé entre les influences croisées du sus-cité, des Talking Heads et, dans une certaine mesure, de Huey Lewis, il revient avec American Dream.
Si les influences mortifères sont nombreuses en 2017, LCD Soundsystem reste tout aussi pertinent, voire davantage, que le groupe adulé dès le premier album en 2005. Il a cependant changé. En prise avec la marche du monde et la mort en série d'une grosse poignée de héros dont David Bowie, Lou Reed, Alan Vega, Leonard Cohen, Lemmy et Prince.
James Murphy a beaucoup évolué avec son projet recomposé, et surtout au micro. Il ne se contente plus de parler, scander ou brailler : il chante vraiment désormais. Et, avec une clarté qu'on ne l'imaginait pas vouloir ni pouvoir atteindre. Sur le refrain de I Used To par exemple, où il monte dans les aigus sans forcer, comme sur le funèbre How Do You Sleep ? où il prend des accents à la Jim Morrison, ou même sur le tournoyant American Dream où perce (enfin) sa vulnérabilité.
Le second constat par rapport à sa mort - supposée - c'est le rapprochement fait par Chris Richards, un journaliste du Washington Post qui fait sa chronique en établissant un parallèle assez inattendu avec Huey Lewis & the News. Il y affirme que Murphy avec cet album agit exactement comme Lewis sur ces albums vendus à millions ( Sports, etc.), à pratiquer un genre musical déjà obsolète mais délivré à la perfection pour se situer dans le temps et dire qu'il est déjà sur le départ, tout en mettant la gomme comme jamais. C'est aussi ironique que bienvenu, car Murphy est vraiment préoccupé du temps qui passe au fil de l'album. De premier, Oh Baby en hommage à Alan Vega, au dernier Black Screen, à Bowie, en racontant son amitié des derniers jours - en renvoi direct à Blackstar. Un titre abyssal et glaçant où la présence du Thin White Duke est partout sensible…
En restant souvent elliptique, il est d'une précision remarquable dans ses textes, capturant comme personne de mini saynètes et, plus encore, des états d'esprit. C'est donc un James Murphy moins snob et arrogant qu'avant, moins ramenard dans ses paroles qui se profile ici.
Il a un peu laissé de côté le sarcasme pour mettre ses tripes sur la table.
Sur Tonite, il s'agace des tubes qui chantent tous "ce soir, ce soir, ce soir" et annonce "la meilleure nouvelle de la semaine" : "nous allons tous finir de la même façon". Et de critiquer férocement le narcissime général. American dream ressemble à la gueule de bois d'un quadragénaire qui, sa jeunesse envolée, se réveille brutalement et se regarde dans le miroir avec l'envie de crever.
"Sur ton téléphone, des numéros de gens disparus que tu ne peux effacer, et des moments importants de ta vie que tu ne peux répéter", remarque-t-il sur Emotional Haircut. Mais ce n'était pas forcément mieux avant: l'un des couplets de Call The Police raconte ses premières années "ennuyeuses" en tant que "punk malheureux", entre une mère handicapée et un père alcoolique. Il n'avait jamais été aussi personnel.
Vivre c'est un métier, disait Cesare Pavese. Alors, t'inquiète James, certains de tes potes sont morts. Mais pas toi. Que devrais-je dire avec quinze ans de plus en regardant mes proches fumer au Père-Lachaise… Il faut juste trouver la bonne manière de les accompagner. Et pour l'instant seul l'effort mérite. Et le tien est d'excellente teneur. So What ?
Jean-Pierre Simard et ses fantômes (avec Laure Narlian) le 4/09/17
LCD Soundsystem American Dream - DFA