Traverser le mur du son avec le blues de Fink

Ce soir-là, le cachet qu'avait pris Dutilleul cessa de faire son effet et il s'extirpa du mur de la maison de la rue Norvins dans lequel il était coincé depuis des années. Qu'il était loin le temps où, gratte-papier, il avait à subir les remontrances de son chef mal luné qui l'allumait à la virgule près… 

Toujours DJ, Fink, Fin Greenall à la ville, sort ces jours-ci un nouvel album d'automne, dont le premier titre éponyme affiche d’emblée la couleur : 8 minutes 33 d’un blues spirituel entre prière et mantra. En sorcier musical inspiré, le minimalisme et l’étrangeté y sont paroxystiques. Un climax de bon goût, ne cédant jamais à la facilité du blues classique tout en respectant son essence.

Fink, c’est d’abord une voix profonde qui caresse instantanément les mélodies. Pas de démonstrations superflues, juste ce qu’il faut pour faire passer le timbre, la chair vocale comme illustration soignée des mots. En latin Resurgam signifie « refaire surface ». Il y a dans les textes de cet album, un constat mélancolique d’une époque perdue, mais, on ne sombre pas pour autant dans une tristesse profonde. Il s’agit à travers quelques accords simples d’évoquer la richesse du présent.

Alors Dutilleul, oubliant toute prudence, troqua son costume de Tintin reporter pour un plus seyant 501, des Doc et un cuir d'aviateur qui le firent passer inaperçu dans les rues de Montmartre. Là, les peintres continuaient à vendre leurs horreurs dorénavant fabriquées en Chine, les café de truander le chaland - mais à plus grande échelle - et les stars du hit parade de s'offrir le 13 de la Place du Tertre, un appartement après l'autre… Assis à la terrasse du Starbuck, il écouta la musique que diffusaient deux haut-parleurs sur le mur. Mais quelle étrange mélopée qui sonnait bluesy et inconnue à la fois. Il shazama sur son portable et découvrit un certain Fink avec son Godhead. (Debout, lèves-toi, enfiles ta tête de dieu et recommence à vivre.) 

Sa musique porte intrinsèquement ce pouvoir de sublimer l’instant, de le rendre moins nostalgique et surtout de ne pas trop regarder en arrière, puisque tout n’était pas mieux avant (Not everything was better in the past). Guitare et son électro éthéré pour une chanson épurée.
Les rythmes, s'ils frappent n’assourdissent jamais, mais éclairent un style surgissant, le minimal The Determined Cut et le très sombre et mystérieux This Isn’t A Mistake en portent les signes des plus audacieux.

Mais Fink ne se refuse pas quelques incursions dans ce qu’on peut appeler la chanson blues-rock bien sentie, avec Craks Appear par exemple, sans céder à ce courant pénible d’une pop qui se voudrait originale. C’est sans doute la production qui donne à entendre chacun des instruments, peu nombreux mais posés parfaitement dans l’espace et lui offre cette touche aussi perso que home made. Le britannique, après un album dans les racines du blues en début d’année, ressurgit avec cet opus encore plus intime, tout en s'avérant plus bruitiste.

Faire du bruit, à ce niveau de subtilité, en quelques notes répétées d’un piano électrique ou d’une guitare à la reverb dosée, montre cette maîtrise de la chanson qui se suffit à elle même.
En artisan, ciseleur, orfèvre, il poursuit son travail de song writer ; en musicien, guitariste, Dj, il surprend et étend le déjà vaste pays du blues en le décloisonnant et en supprimant ses frontières. Grâce lui en soit rendu, car les frontières, on aime passer au travers, et la musique de Fink est parfaite pour jouer les « passe-muraille » !

Enfin, Dutilleul ayant payé son café, se retourna et traversa la place en passant par les murs pour aller s'installer 50 mètres plus bas dans les vignes de Montmartre. La vie recommençait.

Richard Maniere (avec Marcel Aymé) le 21/09/17 
Fink - Resurgam - R'COUP'D