e.pok ou le renouveau de la chanson française avec Ignatus
La terre est bonne, mais on rêve du ciel - la terre est bonne, mais on se rêve éternel… Le problème avec la chanson française c'est qu'elle est vendue sous le signe aberrant de la variété… Alors, dès qu'un chanteur revendique autre chose, on l'écoute. Tout simplement. Parce que tout auditeur un peu conscient possède une double culture - au moins rock et pop, quand pas techno ou rap. Alors, me direz-vous Ignatus ? Il vient de sortir l'album pop français qui tue. Quoi?
Avec son pseudo emprunté partiellement (Ignatus/Ignatius) à John Kennedy Toole, Jérôme Rousseaux a poussé le bouchon au-delà de la vindicte pure et simple de La Conjuration des imbéciles, pour rechausser la chanson française en sur-mesure. Renfilons, pour voir, un vieux manteau. Celui qui a fait de Lavilliers l'hériter de Ferré; de Béranger le papa inconnu de Renaud ou encore de Manset et Bashung, les seuls constantes stables de la chanson d'ici. Oui, il y en a d'autres depuis (Dominique A, Katerine,…) - mais là, vu le parcours de Jérôme, des objets à Ignatus, il y a une ligne qui sinue dans l'époque et à fait quelques marques/traces/tâches dans l'encre (des chansons) d'ici.
On adorait la pop bricolo des Objets, on a découvert ensuite les tentative d'Ignatus de faire sa place au soleil noir de la francophonie. Et c'est avec e.pok qu'enfin il réussit. Ce putain d'album parle étrangement à l'ici et maintenant dans toutes ses composantes 2017. Ce n'est même plus l'ultra-moderne solitude de Souchon, c'est au-delà.
Selon toute apparence,il me manque une quelconque perversion que l'employeur contemporain recherche.
John Kennedy Toole
D'autres l'ont déjà dit- et pas des moindres - qui ont noté aussi bien Arto Lindsay, Talk Talk (qu'il faudrait enfin découvrir entre les tubes), Alan Vega, mais aussi - et là j'ajoute le Yan Péchin de chez Bashung et le Manset producteur/précurseur dans le parcours sans faute. Et on arrête là, car le reste n'appartient qu'à lui. Ce qui précède tenant plus du souvenir que de la mise en route de ce fulgurant e.pok, beau à pleurer. Et d'ailleurs, impossible de ne pas à l'écoute de Corps et Biens si la mort vous accompagne un peu ces derniers temps.
Expérimental sans jamais être prise de tête, en neuf titres, on repasse ici de vieux rêves, de vieilles lubies, de toutes nouvelles sensations qui là éclosent : avec le cochon qui veut devenir Oiseau en rêve brisé d'envol, le monde pourri vu de biais du titre éponyme de l'album, la vision de l'autre côté du couple futur du Détroit de Bering, ou encore le temps allongé, près des arbres de Lire le matin; la hantise du ne pas s'appliquer, ne pas rêver sur Un travail. Mais il faudrait les citer et les commenter un par un. Alors non, à vous la découverte. A vous les surprises d'un album qui vous accueille dans sa bienveillance, sa fausse nonchalance et sa maestria continue.
Tout en hantise désamorcée, tout en paroles millimétrées et en sons calés pile-poil avec la voix carrément somptueuse, sans jamais forcer. Juste, jusque dans ses langueurs et sa scansion étrange. Mais bon, si vous voulez savoir ce qu'il reste quand passe la vie, quand seule la nuit et la solitude ont une sacrée gueule à la Galerie J'farfouille… cet album majeur (et swinguant putain que ça swingue!) est juste pour vous.
Quand les tentatives expérimentales du rock et de la pop se focalisent pour redonner un vrai son et une voix actuelle à la chanson française d'aujourd'hui, vous trouvez Ignatus avec e.pok.
Ici, on danse, on enterre, on danse, on cherche du taf, on se rêve autre, on se voit immense et tout petit face à l'océan. On tutoie même un Dieu assez incertain. Et on donne son avis sur ce que l'on vit et dépasse pour mieux surpasser l'absurde du monde et du moment. Sublime, forcément sublime- comme disait Marguerite. Et ma tempête s'apaise enfin… Achetez-le !
Jean-Pierre Simard
Ignatus e.pok la Souterraine - et sur ignatub.com