Visite de l'exposition "Afriques Capitales", avec deux s.
« Les plus beaux voyages sont ceux qui peuplent notre enfance. Les sons, les odeurs, les couleurs, tout est dépaysement ». Dès les deux premières phrases de Simon Njami, commissaire d’exposition d’Afriques Capitales qui s'est terminée le 3 septembre à la Gare Saint-Sauveur à Lille, nous sommes conviés à faire tomber toutes les barrières : à recevoir, se laisser porter, séduire, emmener par la main, dans une totale confiance. Comme lorsqu’il nous suffisait d’ouvrir un Atlas, la moindre encyclopédie, ou même de faire tourner notre lampe mappemonde et que nous trouvions aisé d’en faire plusieurs fois le tour.
Afriques Capitales à été montré à la Villette puis continué à Lille. Véritable gageure et pari tenu par Simon Njami que de mener deux expositions à la suite qui, de bout en bout, tiennent leurs promesses. Et ce, tant par le choix des artistes avec des œuvres qui, pour certaines, ne sont pas les mêmes qu’à Paris; tout autant qu'avec l'absolue évidence de la scénographie qui zappe l’anecdote, sans jamais distancier le regard du visiteur. Le corps est aussi impliqué dans cette visite. Il tourne, contourne (comme dans Babilonia l’installation de MOSHEKWA LANGA), revient sur ses pas, déambule, bouge et se fige face à BABEL l’installation de Scott Hocking (qui dialogue parfaitement avec l’exposition de Simon Njami), derrière les grandes baies vitrées tout au fond la gare de marchandises qui investit l’espace encore abandonné. Là, le corps se rêve passe-muraille et ce qui passerait ailleurs pour une frustration, devient quasiment un plaisir où l’on se voit déambuler au fil de cet espace interdit et baigné de lumière, souhaitant partager, sinon la même langue, du moins un langage commun, celui de la contemplation de la beauté.
Et de beauté, il est question dans Afriques Capitales, car le voyage physique et l’expérience n'ont de cesse de nous engager à reconnaître le beau dans l’humanité de chacun. Loin d’un folklore bricolé avec des artistes qui, issus d’une quinzaine de pays du continent : du Maghreb à l’Afrique du Sud, révèlent une richesse et une rhétorique très loin des stéréotypes.
Comme la rencontre, parfaitement scénographiée, dès le début de notre voyage, avec ces marchands de rue à Marrakech filmés en pied par Hassan Hajjaj qui apparaissent et disparaissent au fil d’un très long écran vidéo. Ils accompagnent notre entrée, et le ballet coloré, résolument pop, nous fait rencontrer chacune de ces personnes dans une proximité et une intimité, comme rarement il est possible de le vivre d’ordinaire face à un écran, fut-il immense.
Si, au bout de cet écran, le dépaysement est déjà au rendez-vous, ce ne sont pas les installations vidéos et photographiques derrière les fenêtres d’un train de fortune (suggéré par de petites ouvertures de compartiment, laissant les écrans à distance et, parfois, nous obligeant à changer d’angle et donc de regard) qui empêcheront de le ressentir toujours plus fort, malgré des sujets plus difficiles abordés par les artistes. La diversité des points de vues, l’engagement dans la rhétorique et l’exigence des médiums amplifient le sentiment d’être en présence d’artistes contemporains qui savent se saisir de la situation tragique du monde dans sa globalité.
Le travail vidéo de Fatima Mazmouz qui se filme en « super Oum » enceinte et crapahutant comme si elle ne l’était pas, en questionnant le corps féminin, le genre, et la féminité dans tous ses états, est l’un des paradigmes d’une volonté de libérer la parole artistique et politique au cœur d’un pays (et d’un monde) qui voudrait empêcher par tout les moyens son expression. Courageuse, les dispositifs et les médiums de l’art contemporain permettent cette audace au profit d’un discours brillant qui ne néglige en rien l’autodérision et l’humour dont certains artistes occidentaux manquent cruellement.
Les compartiments se suivent et se refusent la moindre similitude, - en tous les cas de l’intérieur -, lors d'un moment suspendu. Là, une douce poésie inquiétante nous est proposée avec le triptyque vidéo Turquoise Realm de Mwangi Hutter. Les corps d’une femme et d’un homme, apparaissent, disparaissent, réapparaissent, dans une chorégraphie très douce, mais fantomatique. Couchés de dos, face à la fenêtre de cette même chambre. L’absence, la présence, la disparition et la réapparition dansent sous nos yeux, alors que l’ensemble de l’immense pièce réverbère les conversations des visiteurs… La vidéo nous happe par son calme et nous élève entre voyeur-voyageur que nous sommes à cet instant, plongés dans une contemplation quasi mystique. Une vanité ? Un doux rêve qui fait prendre conscience de notre éphémère passage.
Le voyage proposé par Simon Njami nous captive, et nous poursuivons notre parcours, à croiser d’autres visiteurs qui se posent beaucoup de questions sur ce qu’est l'œuvre d’art. Voyager, c’est cela aussi, saisir de brefs instants, drôles ou touchants, sur la réception très personnelle du travail d’un artiste. A-t-on le droit de toucher une œuvre ? Ou est-ce un sacrilège ? Si certains cartels nous enjoignent formellement à ne pas le faire, d’autres, par leur absences, encouragent sinon à toucher, voire à prendre à bras le corps cet art fait de petites choses pour nous en montrer de grandes.
Là où la sculpture occidentale travaille le matériau noble, l’art de Freddy Tsimba forge, soude et sculpte des matériaux vernaculaires. Il fond des scènes terribles, entre sourire et malaise, posant l’idée de jouer avec le feu, comme ultime métaphore de la naissance, quitte à provoquer des cris de stupéfaction. Une tragédie se joue proprement là et il est bien plus probant, au quotidien, sur le continent africain de s’en rendre compte et donc d’en rendre compte.
Il est difficile de saisir en peu de mots toute la richesse et la beauté de la scénographie, du choix parfaitement réussi des artistes qui dialoguent et se côtoient dans un si grand espace sans qu’aucun ne prenne le pas sur l’autre. Monumentales (Capitales) ou plus intimes; spectaculaires ou plus modestes, chacune des œuvres participent à notre joie profonde de faire partie de cette humanité. Malgré le désenchantement qui gronde, elles provoquent, ce petit instant, soi-disant insignifiant, qui accompagne longtemps notre vie ici-bas. Et lorsque Simon Njami écrit que « les plus beaux voyages restent toujours à faire », on ne peut que lui répondre d’abord, avant de repartir : Merci à vous d’avoir si bien tenu votre promesse.
Richard Maniere le 30/08/17
Afriques Capitales, Gare Saint-Sauveur de Lille ->3/09/17
Artistes présents : KWAME AKOTO, LEILA ALAOUI, HEBA AMIN, EL ANATSUI, JOËL ANDRIANOMEARISOA, NICOLA LO CALZO, MIMI CHERONO NG’OK, THEO ESHETU, GOPAL DAGNOGO, MODUPEOLA FADUGBA, MESCHAC GABA, JELLEL GASTELI, PÉLAGIE GBAGUIDI, KENDELL GEERS, HASSAN HAJJAJ, NICHOLAS HLOBO, DÉLIO JASSE, KATIA KAMELI, KILUANJI KIA HENDA, ABDOULAYE KONATÉ, MOSHEKWA LANGA, MICHÈLE MAGEMA, FATIMA MAZMOUZ, EMO DE MEDEIROS, HASSAN MUSA, PAUL ALDEN MVOUTOUKOULOU, MWANGI HUTTER, MOATAZ NASR, AIMÉ NTAKIYICA, PUMÉ BYLEX, ÉMILIE RÉGNIER, ANDREW TSHABANGU, FREDDY TSIMBA ET AMINA ZOUBIR.