Dewar & Gicquel : le nu et la roche ou l’intimité de salle de bains
L’intimité de la salle de bains est le thème central des sculptures de Daniel Dewar et Grégory Gicquel. Depuis 1998, ils réalisent à quatre mains des œuvres qui posent question, entre performances et ready made. Bourrées d’humour, elles arborent cet humour à la Magritte, auquel on pense intuitivement à la vue des quelques pipes et de l’absurdité belge déployée au grand jour qui parcourent l’ensemble des pièces qui ont été présentées cet automne dans l’immense espace du Hangar à Bananes sur l’île de Nantes.
T'es tout nu … lorsque tu es proche de la douche. Tout proche. Tu sais que tu dois faire cet acte insensé… te mettre à poil, risquer de toucher de ta peau encore ensommeillée la céramique blanche et froide.
Tu en profites pour te regarder dans le miroir, constater les dégâts de la veille ou des années.
T’es tout nu et l’eau te semble à la bonne température.
Tu es à l’abri des regards. Seul le reflet de cette grande glace démesurée te renvoie cette image que tu connais trop bien.
Mais après quelques secondes sous ce jet délicieux tu te sens prêt à affronter le monde, et puis personne ne t’aura vu ce matin, finalement, dommage !
En blocs de marbre, dolérite, grès ou granit, taillés de façon ultra réaliste ou plus abstrait, il y a une vie aquatique, trempée d’une atmosphère liquide qui s’oppose tout naturellement à la solidité des divers objets qui entourent notre quotidien dans la salle de bains.
Le rapport entre la chair et la couleur du marbre rose, les formes d’une grande douceur qui s’en émergent contrastent et font écho avec le désir du toucher et de sa nécessité si l’on veut s’adonner correctement aux bienfaits de la toilette, un côté « savon » en quelque sorte. Et puis,le dernier mot qui a servi est éponge …
Le duo d’artistes diplômé des Beaux Arts de Rennes, nous embarque dans une réflexion sur le rapport à notre propre nudité; mais aussi à celle de ces objets qui sont les seuls témoins de cette vérité. Ils le font avec une grande dextérité, provoquant tour à tour, divers sentiments au vu des diverses matières travaillées : ici un granit rugueux comme baignoire dont sort deux bottes d’un pêcheur qui paraît être littéralement coulé dedans, là un marbre noir mat dont le plongeur allongé tel un sarcophage qui recueillerait on ne sait quel Pharaon ayant décidé de rejoindre Cléopâtre au sens littéral dans son bain de lait d’ânesse, à moins que ce soit le contraire et que le pauvre s’en soit pâmé d’un ultime plaisir.
Elle est sérieuse cette sculpture, elle est érudite, référencée.Magritte bien sûr, mais aussi Duchamp, avec ce mocassin à gland qui se positionne en prologue de l’exposition ou de ce crabe géant qui apparaît comme pour nous dire que l’intimité ce n’est pas seulement notre nudité, c’est aussi notre parure qui peut se révéler tout aussi impudique, ridicule ou banal.
Parfaitement scénographiée, comme souvent à la HAB galerie, il y a de l’espace entre les œuvres, et l’on peut en faire le tour, dévorer des yeux le moindre détail, la moindre trace d’outil, la plus minuscule veine du marbre sur ce pénis (robinet) d’une belle taille, le lissé des cuisses de ce personnage fort vigoureux. Tandis qu’accrocher au mur, de véritables « sculptures à plat » pour citer Anne Mars, mettant en scène des détails de corps et de décors de salle de bains au moment de la toilette… On se surprend à sourire souvent à la vue de ces pipes, doubles, curieuses, de ce savon, de ces fesses, et de ces robinets, évoquant ou provoquant de douces idées érotiques pour les plus grands et une drôle d'incongruité remarquée de suite par les plus jeunes.
Car l’intimité de la nudité obligée de salle de bain, renvoi évidement à notre corps que l’on prépare, que l’on surveille, que l’on cajole, que l’on triture, que l’on parfume, que l’on nettoie pour se plaire et pour plaire à l’autre.
La roche renvoi à ce dénuement commun à chacun d’entre nous, dénuement quotidien pour se laver, mais dénuement de notre corps face à la mort. De tout ces efforts, il n’en restera rien, et on se met à songer que rien n’est figé dans le marbre, surtout pas notre éphémère beauté et ce quelque soit le temps passé dans la salle de bains.
Tu peux dès lors, gagner du temps, toucher de ta peau brûlante de la nuit, la faïence et l’inox, le pommeau et le flexible, puis te marrer en te préparant et en séchant ton corps un peu flétri, mais l’essentiel c’est d’être parfaitement bien dedans et de laisser s’inviter l’autre qui attend derrière la porte de ta salle de bains.
Richard Maniere Le voyage à Nantes épisode 4