Les lignes Dimoniaques - électro rock mal famé

Le Dimoniaque Dimoné était au 104 avec Jean-Christophe Sirven et ils ont fait bouger les lignes. Se démarquant d'une production classique et lisse, ils se frottent à un électro-rock charnel et sensuel, et se frottant si bien, happent, telle de la poussière cosmique, les mots malfamés, mais si bien nommés, scandés dans des respirations animales pour nous emmener comme autant d'électrons libres au milieu de pays rages !

"T'as vu / Les lignes bougent / Avant ici c'était Vert / Maintenant c'est rouge"...

Dans "Je et Je fondent" le je(u) était aussi l'autre art, plastique, sculptural et visuel. Et l'autre je(u) c'était Dimoné lui-même se jouant des places assignées sur scène. Jamais statique, se mouvant comme si il était chez lui, transformant son chez soi en un chez l'autre pour mieux accueillir ceux qu'ils avaient convoqués comme fantomatiques présences, princes du mot et des associations dont on coupe "l'ombilic" pour être soi.

Au 104, les deux démoniaques ont réussi à ne pas faire un concert de plus, mais plutôt un instant où l'on a pu se retrouver dans les mots et la musique définitivement rock, guitare & claviers toutes "dents dedans ta nuque" !

Les illustrations de Clara Castagné ont dialogué parfaitement pour ne jamais illustrer mais suggérer ce que travaille Dimoné dans sa musique, les frontières mouvantes, qui s'effacent, parfois s'affirment, puis disparaissent à nouveau pour toujours laisser libre court à l'imaginaire fertiles de paréïdolies lexicales et sonores.  Il en a fait des tours, des détours pendables, avec pendu à son cou, sa Rickenbaker.

Mais Dimoné ne se contente jamais de jouer sa musique, linguiste de l’entre-deux, il joue du langage entre les titres, pour les présenter parfois, pour nous les faire perdre souvent afin de mieux les retrouver. Une déambulation poétique, une prose douce, comme lorsqu’ avant de jouer « Dans ta cour », il nous émeut avec une rhétorique douce-amère sur la rhubarbe, « légume à la chaussette rouge qui finit toujours tarte ». Il n’y a pas de cynisme chez Dimoné, il y a du cœur, beaucoup, de la chair aussi et beaucoup, vraiment beaucoup d’esprit. Les associations d’idées, ont été sublimées depuis la dernière fois à La Boule Noire, ses gimmicks qu’il réajuste en fonction du lieu où il joue en son les témoins les plus prégnants, ils sont l’occasion de jeu syllabique au bord de la performance, tant par le corps que par la voix qui tour à tour, cherche à trouver ses limites, les trouvent, les dépassent, les subtilisent subtilement pour atteindre dans un foisonnement de la langue à  une évocation que l’on sait commune d’un souvenir, d’une idée, déjà vu, déjà su, ou rêvé.

Dimoné sont deux… Et Jean-Christophe Sirven aux claviers, à la programmation et aux pieds, ne cesse d’é(n)tendre un champ sonore qui offre des horizons sublimes à son compagnon, Dimoné ne s’y perd jamais et y déambule sans préambule en « homme libre ».

Cette rencontre visuel avec Laurent Martinez aux sculptures bio-mécaniques questionnant notre rapport aux machines ou le contraire, avec O’Malley aux collages de papiers peint de corps rafistolés et impromptus et enfin avec Clara Castagné (qui signe l’illustration de son nouvel EP « Épris dans la glace ») aux cartographies anciennes dont les corps ronds définissent les frontières et les limites des continents tout en les réinventant et en les figurant de fulgurances permet à l’univers musical de Dimoné d’amplifier sa narration musicale.

Et en Dimoniaque démiurge, il se révèle dans une énergique scansion scénique, énergique et charnel, érotique et incarné échappant en chenapan à toutes les idées préconçues que l’on pouvait se faire sur la chanson qu’on dit française et révéler une chanson tout court, qui en dit long sur l’art d’en écrire et le plaisir de l’écouter.

Richard Manière le 12 juin 2017