Somptueux ASYNC de Ryuichi Sakamoto

Si vous avez vécu ailleurs que sur terre, ces 40 dernières années, il fort probable que vous ne connaissiez pas Ryuichi Sakamato. A l'inverse, son face à face avec Bowie qui finissait par lui rouler une pelle dans Furyo en 1983 a marqué une génération, autant pour leur duo que la musique signée du premier. Absent des studios depuis des années pour combattre (et vaincre aujourd'hui) un cancer de la gorge, l'album du retour, ici présent est une somptuosité. Rappel de parcours d'un musicien (demi dieu au Japon) qui a toujours compté.

Merry Christmas Mr Lawrence 1983 - Sakamoto et Bowie

Avant de se lancer solo, Sakamoto faisait partie du Yellow Magic Orchestra, YMO pour les Japonais, le groupe techno-pop d'avant garde qui influença aussi bien Depeche Mode qu'Afrika Bambaata, en réplique humoristique et décalée du Kraftwerk allemand. Avec Haruomi Hosono et  Yukihiro Takahashi ils ont commis à la fin des années 70 et début 80, 3 albums dont le second est décrit en ces termes par Laurent Rigoulet ( lors de leur réédition, l'an passé dans Télérama) :  Solid State Survivor, petit chef-d'œuvre technopop de 1979. Très dansant, mais moins farceur et moins tête en l'air que son prédécesseur, il est d'une richesse sonore qui annonce les grandes heures de la musique électronique, entrelacs de nappes et empilements de rythme, constructions sophistiquées qui glissent avec une aisance irréelle. On est parfois chez Kraftwerk (sublime Insomnia ), parfois chez Devo (la reprise foutraque du Day Tripper des Beatles) et Michael Jackson les appréciait tant qu'il avait décidé de reprendre Behind The Mask, un des morceaux phares de l'album, pendant l'enregistrement de Thriller.

Elevé à Reich et Cage à l'école de musique électronique de Tokyo, Sakamoto possède un sens de l'espace sonore qui va faire de lui une star des BO des 80's et plus, de Furyo au Dernier Empereur en passant plus tard par Talons Aiguilles ou Snake Eyes ou même The Revenant en 2015. Mais il ne va pas s'arrêter là, cherchant toujours plus dans la musique, il va tenter diverses approches avec piano et violoncelle avec le génial brésilien Jacques Morelenbaum et sa femme Paula au chant, ou encore mélanger chant traditionnel japonais et synthés.et aussi retourner à la composition pour le piano classique/contemporain.

Parallèlement à cela, il a joué avec tout le Gotha de la musique actuelle : avec David Sylvian sur plusieurs singles, et a participé à la plupart de ses albums. Il a également travaillé avec Fennesz, Towa Tei (de Deee-Lite), DAvid Byrne, Thomas Dolby, Arto Lindsay, Bill Laswell, Nam June Paik, Youssou N'Dour, Roddy Frame (d'Aztec Camera), Iggy Pop, Alva Noto, Hector Zazou, Cesária Évora,  Caetano Veloso ou Robert Wyatt.

Il s'est aussi occupé d'opéra en 1999, à traiter de la symbiose sur LIFE avec les participations de plus de cent artistes, dont :  Pina Bausch, Bernardo Bertolucci, José Carreras, Dalai Lama et Salman Rushdie. Puis, avant de lutter contre son cancer de la gorge, il a surtout travaillé avec Alva Noto et Christian Fennesz à repousser les façons d'envisager l'électronique et le son.

Et, contrairement à Bowie qui avait choisi de tout cacher de sa maladie et sortir le disque qu'on n'attendait plus de lui, Sakamoto, en quête du disque parfait, avec ASYNC repropose toutes les facettes de son expérience, entre ambient sublime (desintegration) ou contemporain nerveux du morceau-titre, voir les titres de la fin où il fait appel à Paul Bowles pour des réflexions sur la mort (“Parce que nous ne nous savons pas mortels, nous considérons la vie comme un bien infini ") comme il fait réciter à Sylvian un poème d'Arseny Tarkovsky, le père d'Andrei : “Et tout se répètera, tout reprendra forme, et vous verrez alors tout ce que j'ai rêvé : rêves, réalité, mort de vague en vague.”

S'il n'a pas totalement perdu son humour, Sakamoto a eu le temps de réfléchir à ce qu'il a vécu et qu'il balance gravement en offrande. Pour dire les choses simplement, on ne parlera pas de réincarnation musicale - quoique; pas non plus de la barque Charon remontant le Styx, même si c'est suggéré fortement. On dira qu'à la japonaise il est allé visiter les ancêtres, leur montrer de quoi il était capable, en leur nom (honj) , et il est ensuite revenu d'entre les sons, pour continuer son œuvre et cultiver son jardin (garden). 

Rare voyage de retour, toujours dans la beauté, toujours dans l'élégance, au courant de tout et qui n'en dit mot. C'est exquis et libérateur pour qui ose s'en approcher pour savoir. Les autres écoutent, ils n'entendent pas… 

Jean-Pierre Simard le 2/05/17

Ryuichi Sakamoto - async - Milan