Bob Dylan | Discours du Nobel
Celui donc qu’il ne prononcera pas.
Il paraît qu’on s’émeut, ici et là, qu’il ait refusé ors et honneurs publics, grande messe et discours en costume. Mais heureux hasard du calendrier, il était à Stockholm quelques jours avant le jour de clôture réglementaire de remise de prix – lui qui n’avait rien demandé. Heureux hasard ? Pas sûr que Dylan, chaque jour dans une autre ville, un autre pays, un autre continent, sache où il est quand il est là, qu’il chante. On lui dit c’est Stockholm ou Bayonne, qu’est-ce que cela change au jour – c’est toujours un autre jour où lancer la voix et les mots pour dire le jour, le passé, le présent, et demain tout ensemble.
Pas sûr qu’il ait ôté son chapeau quand il est entré dans cette petite pièce pour récupérer ce bout de parchemin avec son nom. Peut-être qu’il a même prononcé quelques mots, allez savoir. Mais chanter, non. Ça, il l’avait déjà fait. Il était tellement plus vieux alors. Et il est plus jeune que cela, maintenant.
Voilà donc le discours imprononcé.
Crimson flames tied through my ears
Rollin’ high and mighty traps
Pounced with fire on flaming roads
Using ideas as my maps
"We’ll meet on edges, soon," said I
Proud ’neath heated brow.
Ah, but I was so much older then,
’m younger than that now.
Des flammes brillantes pendaient à mes oreilles
De toute ma hauteur et de mes pièges puissants
Poussé dans le feu sur des routes flamboyantes
J’utilisais mes idées comme des cartes
"Nous nous verrons bientôt sur l’autre rive", disais-je
Fier d’être près de la chaleur du sommet.
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
Je suis plus jeune que ça maintenant.
Half-wracked prejudice leaped forth
"Rip down all hate," I screamed
Lies that life is black and white
Spoke from my skull. I dreamed
Romantic facts of musketeers
Foundationed deep, somehow.
Ah, but I was so much older then,
I’m younger than that now.
Des préjugés à demi-ruinés me poussaient vers l’avant
"Renversez toute haine", je criais,
Mensonges qui disaient que la vie est noire et blanche
Sortaient de mon cerveau. Je rêvais que
Les gestes romantiques des mousquetaires
Reposaient d’une manière ou d’une autre sur des idées profondes.
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
Je suis plus jeune que ça maintenant.
Girls’ faces formed the forward path
From phony jealousy
To memorizing politics
Of ancient history
Flung down by corpse evangelists
Unthought of, though, somehow.
Ah, but I was so much older then,
I’m younger than that now.
Les visages des filles montraient le chemin
De la fausse jalousie
Menaient aux politiques dont il fallait se souvenir
De l’histoire ancienne
Jetée par des cadavres d’évangélistes
Mais irréfléchies, d’une manière ou d’une autre.
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
Je suis plus jeune que ça maintenant.
A self-ordained professor’s tongue
Too serious to fool
Spouted out that liberty
Is just equality in school
"Equality," I spoke the word
As if a wedding vow.
Ah, but I was so much older then,
I’m younger than that now.
La langue d’un professeur auto-proclamé
Trop sérieux pour rire
Clamait que la liberté
N’était que l’égalité à l’école
"Egalité", je prononçais ce mot
Comme une promesse de mariage.
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
Je suis plus jeune que ça maintenant.
In a soldier’s stance, I aimed my hand
At the mongrel dogs who teach
Fearing not that I’d become my enemy
In the instant that I preach
My pathway led by confusion boats
Mutiny from stern to bow.
Ah, but I was so much older then,
I’m younger than that now.
Dans la position du soldat, je pointais du doigt
Les chiens bâtards qui enseignent
Sans craindre de devenir mon propre ennemi
A l’instant même où je prêchais
Guidé par des navires de confusion,
Mutinerie de la poupe à la proue.
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
Je suis plus jeune que ça maintenant.
Yes, my guard stood hard when abstract threats
Too noble to neglect
Deceived me into thinking
I had something to protect
Good and bad, I define these terms
Quite clear, no doubt, somehow.
Ah, but I was so much older then,
I’m younger than that now.
Ma garde ne s’abaissait pas quand des menaces abstraites
Trop nobles pour les négliger
M’amenaient à penser
Que j’avais quelque chose à protéger
Bon et Mauvais, je définissais ces termes
Très clairement, sans doute, pour une bonne raison.
Ah, mais j’étais tellement plus vieux alors,
Je suis plus jeune que ça maintenant.
Et pour la beauté du geste, vidéo de la reprise lors du " 30th Anniversary Concert Celebration " donné pour les 30 ans de chanson de Dylan en 1993. Interprétée par Roger McGuinn, Tom Petty, Neil Young, Eric Clapton, George Harrison et Dylan lui même…
Et puisque la beauté appelle la beauté (il y a des centaines de version de cette chanson), cette proposition de Keith Jarret – il n’y a pas de mot pour la décrire, d’ailleurs, il n’y a pas de mot.
arnaud maïsetti
2 avril 2017
Dans L'Autre Quotidien, lire aussi sur Bob Dylan
Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | Carnets, Facebook et Twitter@amaisetti.