Alice Cosmic Om Coltrane
Ce n'est pas parce que la plupart ne la connaissent qu'en référence à son illustre saxophoniste de mari, qu'il faut pour autant négliger l'œuvre d'Alice Coltrane, aussi variée que pleine de drôles de surprises. La compilation de ses œuvres pour la période mystico-indienne ici présentée ne fait qu'approfondir la voie creusée dès le début des années 60, avec sa rencontre et son mariage l'année suivante (64) avec John.
Multi-instrumentiste, compositrice, leader spirituel d'un ashram dans la vallée de San Fernando et veuve de John Coltrane, Alice Coltrane Turiyasangitananda (1937-2007) est souvent restée dans l'ombre pour les fans de jazz qui ne vont pas au-delà de la lecture des pochettes d'albums par manque de curiosité. Si ces derniers avaient regardé les participants cités de la dernière période de sa discographie, ils y auraient retrouvé les mêmes sur ses albums à elle, chez Impulse ou Warner plus tard. Or, loin d'être manchots ou de manquer de souffle ce sont tous des artistes considérables, à commencer par Pharoah Sanders, Joe Henderson ou Ron Carter et Ben Riley …
Nous arrivons en 1982 et Alice Coltrane dirige en tant que «swamini» son ashram védantique à Woodland Hills, dans la vallée de San Fernando, près de Los Angeles. Elle n'est plus ni la pianiste qui remplaça au pied levé McCoy Tyner dans le quintet de John Coltrane, ni celle qui fut sa femme, puis sa veuve scandaleuse quand elle osa dénaturer sa musique post-mortem sur le grandiose Infinity, ni même la harpiste allumée qui emmena le free jazz dans le cosmos sur une série d'albums mystiques et fantastiques, mais à l'écart des voix généralement masculines du genre. Elle décide de présenter - sur cassette - à ses disciples des chants délivrés de sa voix grave, qu'elle enregistre à l'aide son ingénieur du son favori Baker Bigsby. Le soir et le dimanche, elle invite tous ceux qui le souhaitent à l'accompagner dans des chants de dévotion hindous, des «bhajans» ou des «kirtans» (du genre de ceux qu'elle adaptait dans ses albums Transcendence et Radha-Krsna Nama Sankirtana qui prennent, semaine après semaine, des formes de plus en plus sophistiquées, avec orgue et/ou synthés.
Longtemps introuvable, ce corpus étonnant – entre new age, musique carnatique et soul – et enregistré entre le début des années 80 et le milieu des années 90 a réémergé partiellement sur YouTube ces dernières années. L'anthologie que proposent Luaka Bop, le label de David Byrne, et l'historien Ashley Kahn (qui signe les notes de pochette) est la première à nous permettre de l'écouter proprement et officiellement. Elle est titrée World Spirituality Classics, Volume 1 : The Ecstatic Music of Alice Coltrane Turiyasangitananda et rassemble huit chansons (dix pour l'édition vinyle) extraites des cassettes Turiya Sings, Divine Songs, Infinite Chants, et Glorious Chants, ainsi qu'un inédit.
Quand tout le monde se met au yoga, à la méditation ou taï-chi pour décompresser, écouter ses titres qui s'affolent entre ambient, soul et techno a de quoi rassurer les plus flippés d'entre nous. Alice Coltrane y a redéfini sa musique pour la rendre mystique. Soit. Mais au passage elle a su remettre en cause/en route, celle qui l'avait amené là, à cet ashram, ce jazz fluide aux racines à la fois gospel et védique qui va jusqu'à s'oublier pour s'ouvrir à autre chose. Que vous soyez mystique ou pas, n'a alors que peu d'importance, la "présence" se fait sentir et le son vous emporte. C'est juste sublime, au sens propre. Mais existe-t-il un sens sale (en dehors de la mystique fasciste ?)
Jean-Pierre Simard
Alice Coltrane - World Spirituality Classics, Volume 1 : The Ecstatic Music of Alice Coltrane Turiyasangitananda - Luaka Bop