Le kaléidoscope instrumental d'Arthur Russel

Si on connait presque tout des albums orientés techno ou house d'Arthur Russel à cause des tubes underground qu'ils ont généré, on découvre enfin se musique plus savante qui emprunte autant à une instrumentation rock qu'aux techniques d'écriture de John Cage. Ca s'appelle Instrumentals et on va détailler un peu.

A sa mort en 1992, l'œuvre de Russell était connue à défaut d'être disponible et la rumeur était flatteuse sur tout ce qui était méconnu. Et c'est seulement à l'aube du XXIe siècle que l'association de la succession Russel et du label Audika a commencé à organiser un catalogue de parutions raisonnées. En 2006, First Thought Best Thought, compilait quelques unes des œuvres les plus bruitistes du violoncelliste ainsi que ses expérimentations de plus longue durée sur des albums intitulés Tower of Meaning et Instrumentals. Ce dernier conçu comme un double album était d'abord sorti en 1984 - mais c'est la faute à pas de bol, le label en avait perdu la première partie et avait pressé le reste à la mauvaise vitesse… Heureusement; la version First Thought Best Thought corrigeait la vitesse de la seconde partie, tout en ayant retrouvé la première dans les archives.

Seul défaut de ce pressage d'origine, qui donnait un bref aperçu aux fans, le peu de travail de mastering effectué à l'origine qui dénaturait quelque peu la clarté du son et des instruments - les deux ressorties de 2016 et de cette année offrent enfin, une idée plus claire du travail de Russel pré-disco avec une clarté et un chouette spectre sonore.

Ces Instrumentals étaient conçus comme des pièces modulaires dans lesquelles des passages mélodiques séparés devaient servir l'improvisation collective à jouer dans n'importe quel ordre. Et, en concert, l'appui sur ces "piécettes" devait permettre d'élaborer un set complet. A la seul condition d'avoir tout appris avant … On apprend ainsi dans les notes du saxophoniste Jon Gibson que le pari de Russell était, pour le groupe, d'improviser sur le temps de manière asymétrique à partir de séquences d'accord peu communes.

Les sessions de 1975 qui forment la première partie de l'album (double, mais réuni en un seul ) montrent un Russell qui joue avec ses influences et les théories de John Cage pour l'indétermination mêlées à un emploi de mélodies étirées et de rythmes (que n'aurait pas renié Moondog), tout droit sortis de ses connaissances de la musique indienne. On y découvre son amour du rock avec l'emploi d'harmonies de ce registre. Le premier mastering ayant passé à l'as toutes ces subtilités, on découvre ici une autre conception de l'espace qui rend remet en lumière le travail des guitares et des percussion comme celui du violoncelle électrique de Russell, tout particulièrement sur l'humoristique “Vol. 1, Track 3”, les tempos galopants de “Vol. 1, Track 6” ou le mix d'instruments à vent jouant des drones avec une guitare funk sur “Vol. 1, Track 7”.


Autre son de cloche sur la seconde partie des sessions datées de 1977-78. On y joue plus doucement, et l'improvisation y est moins présente dans l'idée, alors que le compositeur cherche des continuités mélodiques en faisant jouer son groupe à l'unisson.  Cette autre demi-heure de musique est en quête d'un sentiment de paix et de douceur qu'on trouve à l'œuvre aussi bien sur“Sketch for ‘The Face of Helen’” que “Reach One”. Le nettoyage des bandes permet de découvrir d'autres subtilités - mais toujours pas de guide pratique du son de l'artiste; sauf à considérer que ce mix d'avant garde et de clarté exubérante de la pop le représente dans sa globalité. Au crétin qui a écrit ça sur les notes de pochette, on rétorquera que si cela lui avait suffi, il n'aurait pas composé de house…

Jean-Pierre Simard

Arthur Russell Instrumentals - Audika (2017)