L'art Yéménite à côté des bombes
“Une histoire parmi d’autres” souhaite restituer la multiplicité des mondes de l’art du Yémen contemporain en retraçant des trajectoires personnelles ou collectives tout en interrogeant les rôles des artistes yéménites au sein de leur société.
Des constellations de documents et d’œuvres illustrent ce questionnement sociologique : comment devient-on artiste au Yémen ? De quelle manière ce processus est historicisé ? Quels rapports entretiennent ces artistes avec les institutions étatiques ? Comment tentent-ils de contester ou de contourner un pouvoir politique de type autoritaire ? Quels liens entretiennent-ils avec le reste du monde ?
Le Yémen, situé à la pointe sud-ouest de la péninsule arabique, est un des pays les plus pauvres de la région et son histoire est marquée par une forte instabilité politique. Aujourd’hui il est surtout connu par la médiatisation de la violence, du terrorisme et de la guerre qui y fait rage. « Y-a-t-il de l’art au Yémen ? » cette question résume parfois les nombreuses interrogations que pose l’organisation d’une exposition sur les mondes de l’art yéménites. Elle est révélatrice du manque d’outils disponibles pour percevoir l’existence des arts visuels modernes et contemporains yéménites, en particulier lorsque l’observateur est étranger et habitué à une valorisation des arts différente, mais aussi par la quasi absence de sources dans ce domaine. Les documents regroupés dans cette exposition sont pourtant riches et éclectiques.
Glanés et récoltés sur le terrain entre 2008 et 2011 dans le cadre d’un doctorat en sociologie politique, ils furent donnés par des artistes ou font partie des matériaux enregistrés, photographiés et archivés au cours de cette recherche. En les étudiant puis en les exposant, nous souhaitons, à travers l’observation des interdépendances entre les acteurs artistiques et politiques, proposer une autre image du Yémen. Ces interdépendances faites de rapports concurrentiels et collaboratifs font ressortir des relations de domination sous-jacentes dont les mécanismes peuvent se révéler créatifs et producteurs. En effet, si les institutions étatiques jouent un rôle fondamental dans l’émergence des scènes artistiques à Aden ou à Sanaa, les artistes accompagnent également la création, la consolidation ou la remise en question de régimes politiques : ils représentent les idéaux d’un projet politique socialiste au Yémen du Sud, ils projettent l’unité yéménite en la matérialisant en peintures et en affiches, ou encore ils photographient les mobilisations contestataires de 2011.
En cherchant à reconstruire une histoire des mondes de l’art et de leurs interactions avec le pouvoir politique et l’ordre social, se dessinent aussi, à travers ses interstices, les trajectoires personnelles d’artistes yéménites — le voyage de Hashem Ali et de Ali Ghaddaf au Koweï dans les années 1970, la formation d’Elham al-Arashi à Moscou dans les années 1980, la création du groupe al-Halaqa à Sanaa dans les années 1990, l’engagement de Jameel Subay dans les mobilisations contestataires de 2011, les campagnes, toujours en cours, de street art initiées par Murad Subay… Ces micro-histoires retracées à l’aide d’une multitude de documents de natures variées mettent en lumière des individualités singulières et des parcours complexes et cosmopolites.
En filigrane, cette exposition révèle également la difficulté de retracer une histoire de l’art d’un pays enlisé dans une guerre — l’escalade du conflit armé depuis la fin de 2014 et le début de 2015 a évolué en guerre civile intensifiée par l’intervention militaire menée par l’Arabie Saoudite, à la tête d’une coalition soutenue par de nombreux pays, dont la France. Certains des documents et œuvres exposés portent les stigmates de leur histoire — la peinture d’Amna al-Nassiri légèrement endommagée, les dessins de Talal al-Najjar conservés par la force de choses — et l’absence d’autres souligne la difficulté à entrer en contact avec le terrain étudié. Avec l’impossibilité de connaître ce qui subsiste aux bombardements en cours au Yémen, la moindre photocopie change ainsi de statut, devenant aussi précieuse que l’original par la possible destruction de ce dernier. Anahi Alviso-Marino
C'est assez étonnant qu'en temps de guerre, on veuille ainsi restaurer la mémoire artistique d'un pays que tous oublient, pour complaire l'Arabie Saoudite et son chef de guerre qui rêve qui, après avoir armé à ses frais diverses factions de Daesh part s'ouvrir des nouveaux terrains de chasse au faucon de l'autre côté de la péninsule. Ne trouvez-vous pas ? A mon avis, le karma du prince doit avoir une sale odeur…
Jean-Pierre Simard le 14/04/17
Une histoire parmi d’autres - Les mondes de l’art au Yémen 15 avril → 6 mai 2017
Villa Vassilieff - 21, avenue du Maine75015 Paris