Les derniers feuillets de Yuri Dojc

Par hasard, Yuri Dojc, sa productrice Katya Krausova et leur équipe de film documentaire découvrirent un jour une école juive abandonnée à l’est de la Slovaquie. Le temps s’y était figé un jour de 1942 lorsque ceux qui s’y trouvaient furent déportés dans des camps de concentration… Les manuels scolaires étaient toujours là, les cahiers d’écoliers annotés, les bulletins, les actes de naissance, les livres de comptes, et même du sucre dans les placards de la cuisine… le tout en état de décomposition sur des étagères poussiéreuses, derniers témoins d’une culture autrefois florissante. C'est La Dernière Page, Voyage photographique avec Yuri Dojc, une exposition suspendue dans le temps et les marques de l'Histoire. 

Yuri Dojc envisage chaque livre abandonné, abîmé par le temps, comme un survivant, dont il fait un portrait, préservé dans sa beauté finale : des images qui en disent plus long que les mots. Aujourd’hui, des années plus tard, sa propre recherche, qui a débuté avec des portraits de survivants après la mort de son père, se transforme en un remarquable récit photographique. Parmi les centaines de livres et de fragments que Dojc photographie, l’un d’entre eux sort particulièrement du lot. Perdu au milieu d’une pile couverte de poussière, un livre ayant appartenu à son grand-père Jakob se retrouve comme par miracle entre les mains de son héritier légitime.

Synagogue de Kosice

En 1997, Dojc croise un rescapé de la Shoah à l’enterrement de son père. Cette rencontre décisive l’amène à photographier des survivants slovaques avant qu’il ne soit trop tard. Il parcourt ainsi le pays et réalise plus de cent cinquante portraits, saisissant leur histoire, leurs traits. Au cours de son périple, il immortalise aussi des objets, et des bâtiments, ayant appartenu à la communauté juive. Malgré leur état de déliquescence, il est touché par leur beauté et décide de retrouver puis de photographier d’autres traces de cette communauté perdue. À la recherche de l’héritage des Juifs de Slovaquie, décrit dans le livre de son père, il entame le projet qui deviendra Last Folio. « Nous aspirons tous à laisser quelque chose derrière nous ; une empreinte de notre passage, dit Dojc. Mais il ne reste presque rien de ces personnes dont les vies ont été interrompues pendant la Shoah. La photographie me permet d’ériger un monument intime à leur mémoire. À travers ces clichés, je leur rends hommage et je conserve leur trace. Je ne peux qu’espérer que mes images parleront aux visiteurs de cette exposition. »

Krausova ajoute : « Yuri et moi-même avons parcouru tout le pays, des petites villes et de minuscules hameaux, rencontré des gens, trouvé des restes de vie et des fragments de souvenirs. Retracer les expériences de nos familles et l’univers dans lequel elles ont vécu et sont mortes s’est avéré un voyage absolument renversant, à la fois émouvant, spirituel et très personnel. » Les photographies des livres que Dojc a trouvés dans une école juive à Bardejov constituent l’élément central de Last Folio, comme autant de vestiges d’une culture autrefois florissante. Les images de l’exposition révèlent les ruines terrifiantes d’écoles, de synagogues et de cimetières. Last Folio inscrit un voyage personnel dans la mémoire culturelle et offre une réflexion sur la perte universelle en tant qu’elle fait partie du souvenir européen.

Conçue comme une installation itinérante, Last Folio réunit une sélection de photographies, un film documentaire et un livre, et a été présentée dans plusieurs pays des deux côtés de l’Atlantique. Douze de ces clichés font désormais partie de la collection permanente de la Bibliothèque du Congrès à Washington. En 2015, Last Folio s’insère dans les commémorations internationales du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce cadre, l’exposition est montrée aux Nations unies à New York, à la Bibliothèque nationale d’Allemagne à Berlin, au musée Mark Rothko en Lettonie, au Musée juif et centre pour la tolérance récemment ouvert à Moscou et dans la galerie d’art de l’université Tufts aux États-Unis.

Maxime Duchamps