Le paysage urbain défini par Lise Sarfati : Oh Man !
Le travail de Lise Sarfati, après The New Life, She et On Hollywood, se situe à nouveau dans l’espace urbain. Avec Oh Man, sa série de 18 photographies, (quinze en couleur et deux noir et blanc) de grand format, réalisée en 2012 et 2013 à Los Angeles, elle confirme son refus du pittoresque romantique.
Lise Sarfati prolonge une œuvre d’une certaine complexité intérieure et qui ne peut être réduite à une vue unique et globale, ou saisie comme un objet. Elle cite d'ailleurs Baudelaire à propos Oh Man : «Dans certains états de l’âme presque surnaturels, la profondeur de la vie se révèle toute entière dans le spectacle, si ordinaire qu’il soit, qu’on a sous les yeux. Il en devient le Symbole.»
Elle investit la ville de manière personnelle et métaphorique, à repenser ce qui existe déjà. La vitalité primaire, viscérale, incoercible venue du déracinement : des hommes marchent et l’indifférence radicale de leur corps occupe le cœur vide de Los Angeles. Elle travaille sur une image qui, toujours, crée une discussion avec le spectateur, une image dans laquelle nous pouvons nous projeter, mais aussi nous sentir libre. Sans vision dirigée.
Toute la série est baignée d’une lumière solaire. La clarté de ce point de vue agit comme une illumination sur l’image, comme pour éclairer notre vision. Lise Sarfati a défini de manière très précise le choix de cette lumière solaire intense : «J’ai travaillé sur la distance pour créer un rapport ambigu de la relation de l’homme au paysage. Mes images sont de grand format mais, par leur équilibre, elles permettent au spectateur une liberté extrême : celle de s’attacher au paysage ou à la figure humaine.»
Les figures des photographies, les personnages tels qu’elle les définissait dans ses séries The New Life, She et On Hollywood, sont ici fantomatiques. La série Oh Man crée une sensation trouble : les hommes sont à la fois anonymes et pourtant familiers. Dans ces images, ils sont filmés par des caméras digitales de surveillance et deviennent le détail d’un paysage virtuel. Ce que J.C Ballard, une référence de Lise Sarfati, à propos du système de surveillance informatisé, appelle un «cauchemar orwellien devenu réalité, mais déguisé en service public».
Oh Man nous donne le sentiment d’être n’importe où au centre ville d’une mégapole des États-Unis. Le paysage américain de la ville dans les photographies de Lise Sarfati y défile le long d'entrepôts comme une litanie de signes sans affect : United State Post Office, NAB Sound, Toys, Clothing, Handbag, Cosmetics …
La photographe n’a cessé de s’interroger sur le vide à travers ses différentes séries, ainsi que sur la relation de l’homme au monde extérieur. Dans Oh Man, nous sommes balancés par la sensation ambiguë du paysage, entre l’attirance du vide et la jouissance de l’espace traversé par l’homme qui marche. Et comme à chaque fois qu'on marche dans la ville des voitures- c'est au risque de se faire arrêter. Mais pas par le temps…
Maxime Duchamps (avec Christophe Lunn) le 7/12/17
Lise Sarfati - Oh Man -> 13/01/2018
Galerie Particulière 17, rue au Perche 75003 Paris