Detroit Techno, comme une déclaration d'indépendance
Pourquoi et comment la techno de Detroit a conquis le monde est l'argument du double DVD Detroit Techno : Never Stop et The Cycles of the Mental Machine. Interviews pointues, images démentes des ruines et des acteurs du lieu - pas seulement musicaux. Un super docu… bientôt Noël !
Au début des années 60, Detroit est la quatrième ville économique des USA, et Motown rythme la jeunesse qui se rêve autrement que noire. En 1967, la ville est envahie par les chars suite aux émeutes raciales et elle périclite en quelques années. Le coup de grâce viendra en 1973 avec la première crise du pétrole et la fuite massive des blancs vers les banlieues aisées au bord du Michigan, quand son centre ville est totalement abandonné. Dans ce climat, ceux qui n'ont pu partir décident de résister et le font culturellement en inventant le funk psyché ( Parliament) au début des 70's, puis la techno au début des 80's. Depuis, cette culture électronique a conquis le monde en mixant Clinton George et Kraftwerk … Histoire d'une renaissance.
« J’ai fait ça tout simplement pour ne pas mourir psychiquement. Quand tu regardes la ville autour de toi, tu vois ce qui se passe, nous étions très jeunes, j’avais juste ce besoin de réaliser quelque chose » Juan Atkins
La force du documentaire Never Stop est de montrer comment la force d’exorcisme de ce mouvement créatif qu’est la musique techno de Detroit et la mise en place - par chacun des pionniers - de leurs labels indépendants aura permis à une contre-culture de trouver un écho dans le monde entier. Comment une force créatrice, en s’appuyant sur de nouvelles attitudes et en rencontrant le monde de la technologie et de la communication électronique, aura permis à une utopie économique de devenir une réalité. Comment, face à un quotidien et à un environnement insupportable, la seule issue de ces musiciens aura été de se doter des moyens leur permettant de développer une créativité et une liberté effervescentes tout en conservant des qualités humaines attachantes. Comment - sachant que ces labels existent maintenant depuis trente ans - leur attitude et leur démarche peuvent être un exemple pour nombre d’entre nous. Enfin, et aussi, comment la ville défaite de Detroit est en train de renaître.
Jacqueline Caux est très vite devenue un témoin privilégié des changements de la ville et la confidente de quelques-uns de ses plus grands artistes. En 1995, elle y tourne Cycles of the mental machine, prenant le pouls d’une cité aussi déconstruite que bien vivante. Ce premier documentaire est réalisé comme un parcours dans Motor City via une série de portraits intimistes ponctués des allocutions spatiales et radiophoniques du DJ et mentor, The Electrifying Mojo. En 2016, Jacqueline Caux retourne à Detroit pour un nouvel état des lieux. Dans Never Stop — Une musique qui résiste (dont la première mondiale a eu lieu à l’Auditorium du Musée du Louvre de Paris, le 22 janvier 2017), elle souhaite rendre hommage aux pionniers de la techno et aux labels indépendants. Deep Space, Metroplex, Transmat, Planet E, UR et Axis… Juan Atkins, Derrick May, Carl Craig, Jeff Mills, Mad Mike, The Electrifying Mojo.
Soutenue par The Electrifying Mojo (imaginez Deleuze incognito à Radio Nova), un DJ absolument fabuleux d'intelligence et d'éclectisme qui va faire à lui seul changer les formats des radios US FM, une bande de lycéens, autour du mentor Juan Atkins, décide de se lancer dans un business qui les ignore. Sinon, leçon d'humilité et de débrouille, les techno kids ont retrouvé à leur tour, dix ans plus tard, ce que les punks anglais avaient bricolé, un réseau indépendant pour niquer les majors qui les snobaient et ne leur demandaient comme service, la reconnaissance venue, que d'améliorer leurs productions datées, sans vouloir jamais s'en occuper…
Et puis, il y a aussi les habitants qui ont décidé de faire de l'art dans la rue au milieu des ruines. Et enfin, la présentation d'un renouveau de la ville - pas de mystère, le maire est blanc est a assuré de faire venir des capitaux pour la reconstruction…
« Peut-être que nous en sommes responsables, parce que nous voyageons tellement. Nous sommes tout le temps éloignés de notre ville et nous n'avons pas fait en sorte qu'elle continue à créer des lieux… » Derrick May
Jean-Pierre Simard le 4/12/17
Jacqueline Caux - Detroit Techno: Never Stop + The Cycles of the Mental Machine, La Huit éditions