Et c'est ainsi que Tom Waits est (toujours) grand !

Parce qu'Edward  Hopper a peint Nighthawks at the Dinner, parce que Lenny  Bruce et George Carlin, parce que Brecht et Weil, puis Captain Beefheart…  Parce que Springsteen et Keith Richards ou Marc Ribot, parce que Bette Middler et Mose Allison. Et, parce qu'à suivre ses chansons depuis Closing Time, en 1973, son album d'ouverture jusqu'au remastering 2017 de son Glitter & Doom de 2008, Tom Waits survole la musique américaine en racontant ses histoires de fantômes et de losers; Tom Waits est grand !   Panégyrique 2017 - what else ?

PanégyriqueAssemblées générales, fêtes populaires, grands jeux organisés à l'occasion des grandes fêtes religieuses. (Dict. xixe et xxes. jusqu'à Lar. 20e).

De tout autre, une telle voix serait inacceptable- et c'est là son  moindre défaut. Mais il a construit autour tout un répertoire, la faisant évoluer au fil des albums, la portant de plus en plus au bord/au-delà du grognement, propre à gémir aussi bien qu'hurler. Propre à séduire autant qu'à heurter. Et, de blues en sketch, de jazz en hip hop (ouais aussi!), il balance musique et histoire, via l'histoire de la musique. Car l'animal est capable de se frotter à tout le répertoire: de la pop à l'opéra  (The Black Rider) avec William Burroughs et Bob Wilson. Et puis, le génie tient aussi au savoir-faire du Waits de Burma Shave qui, à partir de la simple évocation d'un produit de barbier des années 50, fait remonter toute une époque en la remplaçant dans son contexte et en la retraduisant, dans l'instant au milieu des années 70 pour en montrer l'écart, ce qui reste et ce qui a disparu au passage. Parfaite annulation du temps en un cliché jazz-sépia qui ne parle que du présent et des enjeux. L'équivalent du Bashung télescopeur de Rebel (J’ai nettoyé la cheminée de Ramona. Je suis parti, Avant que la señora me dise merci. Yé n’en pé plou. Yé n’en pé plou

Panégyrique :Tu ne sais donc pas que je suis (...) un poltron, un lâche? (...) je croyais être mieux connu, depuis que Florence crie mon panégyrique à toute l'Italie (A. Dumas pèreLorenzino,1842, i, 13, p.218)

On a dit que l'homme Waits déteste le surplace. C'est dire qu'il faut suivre/déminer, en Petit Poucet spectateur/auditeur de son évolution, les cailloux qu'il lâche dans vos grolles, à la trace.  Passant sans visible heurt du piano-contrebasse à la déglingue Beefheart pour radicaliser de plus en plus le propos - tout en ménageant des pauses blues-rock, pour les tubes. En écrivant pour Springsteen ou en collaborant avec Keith Richards, Marc Ribot, Chris Spedding, partageant la scène avec le gratin du rock,  toujours un  peu au-delà. Comme ici … au plus proche de l'esprit d'Howling Wolf.

Mais ce qui frappe, ce qui en fait un shaman, c'est la puissance du corps de Tom Waits (Clap Hands!!!). Entr'aperçue chez Coppola, Jarmush ou chez Gilliam, elle a fini par envahir complètement la scène. Il est devenu un conteur dont les spectacles, au bord du cabaret ( à  côté du bar ou de la pompe à  essence(s) ) sont rythmés par des monologues musicaux ou non qui filent le frisson. Il avoue lui-même sur Twenty-Nine Dollars qu'il est capable de jouer de la contrebasse avec l'argot ! La persona de Waits, c'est un peu les pieds de Fred Astaire qui seraient capable de changer de titre à l'envi, d'incarner dans le bar de nos/ses cauchemars aussi bien le zinc que la serviette, le napperon que la moindre bouteille et celui qui la boit ! Sans compter les spectateurs présents qui feront les commentaires…  

Panégyrique : Ils parlèrent longtemps de la jeune fille; Nicolas ne put s'empêcher de la louer avec enthousiasme. Toute l'imagination de l'écrivain se déploya dans ce panégyrique; le coeur y joignait aussi tout le feu dont il brûlait encoreNervalIlluminés,1852, p.232

Et comme tout cela était difficile à contenir, en dehors du monologue de Story qui raconte comment Tom a remporté les enchères sur Ebay et arraché le dernier souffle, contenu dans une bouteille, d'Henry Ford, le reste est sur un second CD de 35' intitulé Tom Tales

Dernier truc, et pas des moindres, il faut entendre ici la ferveur d'un public conquis qui réagit à la moindre vanne, à la moindre saillie d'un type porté par la musique, qui l'a même écrite et qui  surfe sur les ambiances qu'il noue et dénoue avec un sens millimétré du tempo. et du show. 

La vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil. F. Nietzsche

Alors ok, si vous ne parlez pas anglais, vous allez souffrir. Mais même là, ça vaut le coup,  parce que vous entendrez quand même. Enfin vous saisirez l'enjeu et la puissance dégagée par cette voix omniprésente qui envoie grave et fait transpirer les foules, en même temps qu'elle les/vous ravie. Un impossible a pris corps pour vous montrer combien l'étrange vous est -  finalement - si familier, les fantômes familiers, la poisse familière, la mort juste à côté, la débine, un temps mis en suspens et le bonheur, une affaire d'appréciation… Dans ce temps-là,  vous serez vivant.   

Panégyrique : Je veux le déifier, le porter au-dessus du dix-huitième firmament. Ô mon ministre, je te tiens enfin! Je puis te parfumer des pastilles du sérail de l'éloge, t'embaumer avec un panégyrique de ma préparation! (Reybaud,J. Paturot,1842, p.123).

Pour écouter cette version, il vous faudra patienter jusqu'à début décembre, ou le commander pour moins de 15$ sur le site de Waits. Bonne affaire, anyway…  On  sait tous que l'éléphant est effervescent, mais pour viallater jusqu'au bout, on  réitérera aussi que c'est ainsi qu'Allah ( et Tom Waits) est grand.   

Jean-Pierre Simard le 9/11/17

Tom Waits Glitter & Doom (2017 Remastered) - Anti