Rødhåd et la techno d'un futur noir comme une dystopie
Actif depuis les début des 90's, le Berlinois Rødhåd (Mike Bierbach) fait partie de l'underground de la capitale allemande depuis lors, à la fois comme DJ et organisateur de soirées. D'abord expert en techno, il a construit son projet au fil de nombreuses et très courues soirées dans les lieux les mieux cachés de la ville, avant de devenir résident au Barghain. Son premier album Anxious propose un nouveau monde bien flippant, prêt à vous dévorer. Cartographie.
Assez au fait de la noirceur du monde, Rødhåd ne fait pas vraiment dans la dentelle, depuis son initial Blindness de 2012 sur Dystopian (son propre label), un truc dark qui pulsait sauvagement et sinistrement sur fond de vocaux gothiques délivrés par Sara Clarke, même si son second EP 1984, lorgnait plus vers Detroit et le dub sur Newspeak. Le récent Oblivion donnait déjà le la de son actuelle quête de sens : atmosphérique et angoissant, toutes les couleurs centrées sur le gris. Anxious pousse le bouchon plus loin en construisant carrément un univers dédié, en ajoutant plus de textures mélodiques à une palette sonore déjà assez riche.
Unleash ouvre l'affaire avec un drone dérangeant qui se transforme en ambient pure et simple avec des arpèges en spirale qui posent l'image inquiétante d'une ville de néons clignotants, juste à l'inverse du bucolique Carl Craig de Landcruising. Le motif se profile déjà, qui va faire, tout du long, la part belle à une omniprésente sensation d'évoluer dans une B.O. , comme cela se renforce sur Withheld Walk, de l'infra noir passé aux bleeps métalliques. Escape envoie enfin un 4/4 de bon aloi, mais pas en version dancefloor, puisqu'il se contente d'annoncer un drone d'orgue sur lequel vont se poser des voix a demi audibles relayées par toute sortes d'effets. C'est là qu'on perçoit le mieux la signature du maître des lieux impressionnante et spatiale à la fois.
Awash visite d'autres contrées ambient avec mélodie à la flûte synthétique, quand Glimmer of Light est un titre techno-house qui visite des profondeurs très très deep, sans jamais revenir à la lumière. Target Line (featuring Vril) est un sommet de l'album construit sur des kicks en acier et des basses grondantes qui se met à tourner à coup d'accords graciles et de cloches veloutées (le titre dancefloor du lot ?). Plus loin, Burst affiche ses cordes synthétiques pour proposer une montée aussi bien orchestrée qu'elle est angoissante sur fond de jungle. A l'arrache. Left Behind envoie un dub techno plaisant, mais sans plus. Au final, Cast a Shadow, petit chef d'œuvre atmosphérique et de design sonore laisse enfin passer un peu de lumière. Il était temps. On allait étouffer.
Rødhåd est à la fois fan de Laurent Garnier et de Jeff Mills, à construire des atmosphères qui sont comme des prolongement de ses sets DJ très courus. Ici se profile un élargissement de son monde musical, qui voyage aux confins du flip sociétal actuel. On le sent amateur de Metropolis, sans y retrouver les battements de cœur qui habitaient le chef d'œuvre de Lang. Son actuelle dystopie, d'un monde probable évoluant à côté selon d'autres règles, sent bien la montée des eaux et le robot à venir. Mais bon, avec des titres comme Target Line et Burst, on est de suite prêt à regarder où il voudra bien nous emporter ensuite.
Jean-Pierre Simard
Rødhåd - Anxious- Dystopian Records