Comment Doisneau vit (et vécut) la banlieue en couleur pour la DATAR

En 1984-1985, Robert Doisneau (1912-1994) participe à l’aventure mythique de la Mission photographique de la Datar. En utilisant une chambre au format 6 x 7 et en travaillant pour la première fois en couleur, le photographe bouleverse ses habitudes pour arpenter une nouvelle fois la banlieue parisienne, son territoire d’élection. Restées jusqu’alors inédites, ces images surprennent par le regard plasticien, teinté d’ironie et de désenchantement, que le photographe porte sur les débordements urbains des années 1980.

Robert Doisneau Espace ludique Résidence La Boissière à Rosny Mission Datar, juillet 1984

Ces photographies couleur de la banlieue parisienne marquent un retour sur les lieux saisis dans les années 1940 et une rupture dans sa pratique précédente du noir et blanc. Diplômé de gravure lithographique, Robert Doisneau est devenu photographe en 1932 et a réalisé, à ses débuts, des reportages et sujets publicitaires, à l’usine Renault de Boulogne-Billancourt. Indépendant en 1939, il intègre l'agence Rapho en 1946. et va balancer des clichés qui vont faire le tour du  monde. On l'a dit humaniste, pour caractériser un style photographique parisien qu'il partageait avec ses confrères ( tous des tueurs !) les Edouard Boubat, Willy Ronis, Brassaï et autre Henri Cartier-Bresson. Tous attentifs à capturer l'instant pour lui donner un sentiment  d'éternité. Sauf que, pour moi, le terme employé est un rien simpliste, tant leur clichés vont au-delà d'une  attention "sympathique/bienveillante" accordée au sujet. On a pris leurs clichés pour des manifestes, quand ils étaient des témoignages. 

N'était-ce pas plutôt une tentative d'englober le sujet dans sa présence en lui rendant tout ce qui l'entoure et tout ce qui la montre là, comme une somme ?


La parution de ce livre est la bonne occasion pour le dire, tant l'écart entre les clichés du  Doisneau des années 40 et ceux des années 80 montre non seulement le désenchantement du monde, mais sa toute nouvelle dureté. L'approche demandée à la chambre par la DATAR souligne cette nouvelle verticalité et ces échelles de paysage qui différent. A l'immuable ou au bouleversement d'après-guerre, avec des paysages que l'humain s'est réapproprié en béances et aberrations s'est substitué un ordre qui n'est plus que transitoire. Une esthétique du bloc, comme des bouses … pour tuer l'horizon balisé de toute part.

Le regard se définit dans l'approche bouchée et les clichés jouent sur la nouvelle temporalité et les écarts qu'elle manifeste avec un passé si peu lointain. On a mis là beaucoup de couleurs pour cacher le fait que le paysage s'est uniformisé, le regard rétréci et que plus on s'approche,  plus on s'éloigne vers nulle part. Claude Eveno qui a écrit le texte d'accompagnement rappelle que le propos était artistique, mais qu'en voyant Doisneau comme un photographe du passé, on a fait fausse route car, c'est un homme de la présence et du réel, du très réel… Comment aurait-il pu en être autrement avec les amis Picasso et Prévert, ces fondeurs de forme ?

Jean-Pierre Simard  le 10/11/17 

Doisneau a fait l'objet de nombreuses publications : La Banlieue de Paris (1949), Trois secondes d'éternité (1979), A l'imparfait de l'objectif (1989), Du Métier à l'œuvre (2010) et Les Alpes de Doisneau (2012).

Plus sur Doisneau, ici 

Robert Doisneau - La banlieue en couleur - Carré éditions/La Découverte