D.A.F., la techno moite made in D-Dorf

C'est Laurent Chalumeau qui disait, à la mort de Bowie, qu'on pouvait le remercier d'avoir donné envie aux adolescents de province des 70's d'oser s'avouer différents (bi et pré-pubère ?). On va dire qu'avec DAF, au début des 80's, le saut quantique (au popper's) était effectué dans un fracas électro-punk (et pré-techno) et que d'EBM en backroom, il fallait danser gay et rêver de kebab en esquissant des pas martiaux un peu facho… 35 ans plus tard, leurs mélodies à la scie sauteuse sont des classiques - et pas que du dancefloor. Flashback, pas forcément bareback… 

Trente-cinq ans après, à l’écoute de Der Mussolini (1981) déclamé en allemand, on hésite toujours entre l’effroi et l’hilarité : « Danse le Mussolini/Danse le Adolf Hitler/Bouge le derrière/Et danse le Jésus-Christ/Danse le communisme… » En 1978, lorsqu’ils fondent D.A.F., le blond Robert Görl et le brun Gabriel « Gabi » Delgado sont en colère. S’ils apprécient leur rage, ils trouvent les punks insupportables avec leurs riffs mille fois entendus et haïssent les idoles du Krautrock que sont Tangerine Dream et Kraftwerk. « Kraftwerk ? Des poseurs ! Des couilles molles sans une once d’énergie ! »

DAF 2009

De l’énergie, le duo à l’imagerie gay appuyée, officiellement séparé en 2015, en avait à revendre. Et leur musique est considérée comme inspiratrice majeure de la techno : aux fûts et aux machines, Görl multiplie les superpositions rythmiques, sur un mode tantôt effréné et martelant, tantôt lent, presque assoupi. Au micro, Delgado éructe, menace et ahane comme s’il faisait l’amour, quand il ne sanglote pas tel un soupirant éconduit.

Du grand théâtre ! A l’écoute des quatre albums réunis aujourd’hui dans un coffret, enregistrés sur une période très courte – de 1980 à 1982 – l’univers de D.A.F. se révèle plus subtil que ne le laissent deviner ses « tubes » pour soirées destroy.

Si l’on savoure toujours les chansons slogans comme Verschwende deine Jugend (« Dilapide ta jeunesse ! Fais ce que tu veux ! Ne respecte rien ! »), on redécouvre surtout une poignée de titres plus tendres, comme Mein Herz macht Bum (« Mon cœur explose »), dans la veine du duo synthétique phare underground, Suicide. Et plus encore Der Räuber und der Prinz, comptine faussement innocente dont il est impossible de se défaire.

C'est tout le bonheur qu'on est en droit d'attendre d'eux ou de re/découvrir… Une vie qui se joue pour se débarrasser les carcans (et pas seulement allemands), Un son brut de déc et mélodique à la fois qui pulse aussi bien dans les égouts que sur les parquets. Un impossible qui se lève un beau jour et empêche définitivement de retourner en arrière, fort de ses propres découvertes. Disques de passeurs, pas assez entendus. 
 
Jean-Pierre Simard (avec Erwan Perron) le 12/10/17

Das ist DAF , 1 coffret 4 CD, + 1 bonus de remixes ou 5 vinyles, DAF Grönland/Pias