Mariachi live, en dompteuse de stridences électriques

Les fulgurances électriques de Mariachi, Nina Garcia au civil. Des performances qui remettent les pendules à l’heure : la grande aiguille sur les cordes et la petite sur celles des minutes qu’elle rend si précieuses. Bienvenue dans le bruit crépitant d'un concert bruitiste hors norme, sans tambour ni trompette. Allô Glen Branca ? 

Nous assistions pour la première fois au solo de Mariachi, une performance prévue à l’origine en duo avec Maria Bertel qui a annulé pour raisons de santé. Elle a débuté la tournée seule et la terminera de la même manière. Ce solo improvisé, un projet qu’elle travaille depuis presque deux ans fut l’occasion de découvrir un univers d’une richesse insoupçonnée et d’une profondeur subtile et puissante à la fois.

Il est presque 21h30 et, dans la salle, les verres de vin naturel
se vident, tandis que Mariachi se prépare face à son ampli.
Nous déjà en ronde autour d’elle. Un public qu'il Il faut voir former cette sorte de cercle, comme si nous savions déjà naturellement nous réunir autour du foyer que l’on sait électrique.

Devant nous : pédale de volume, pédale de distorsion, les jacks sont branchés et entre, une petite boîte en fer que Nina ouvre consciencieusement, dans un léger bruit de ferraille.

À l’intérieur, des tiges filetées de différentes tailles et deux ou trois mediators mâchouillés (on les mâchouille tous… ils sont faits pour ça).

Elle semble se poser à cet instant comme l’infirmière, prête à administrer radicalement l’injection qui annihilera le virus qui nous fait croire que « nous n’avons rien à faire lorsque nous écoutons une pièce de musique (…) » (John Cage).
Et c’est accroupi, guitare sur les genoux que Mariachi va littéralement élever les sons, d’abord en contraignant la distorsion à dialoguer avec les lampes chauffées à blanc de l’ampli Fender. Un drone jaillit alors de l’ampli et lentement et longuement, s’installe pour nous envelopper…

Un silence ponctuera à la perfection, pour nous laisser reprendre notre souffle et recevoir ainsi la deuxième salve du bourdon hypnotique toujours subtilement modifié. Quand il est assez grand, la guitariste se lève, comme pour mieux dompter
le son qu’elle a élevé, pour le tenir en respect, et va contraster avec des riffs puissants, ordonnant à sa guitare de répondre aux gestes qu’elle fait. La petite lampe positionnée juste à côté
de son ampli, projette une ombre géante derrière elle, et poétise la distorsion sonore d’une évanescente présence.

Reprenant sa position accroupie, Mariachi se jette à corps perdu dans une séance de frottement, combinant habilement la position main gauche et la tige filetée main droite, dans une débauche de production de sons tout aussi percutants que signifiants; nous emmenant au coeur de son ouvrage : puissant et fragile à la fois… Les agencements sont pointus et les hasards tous maîtrisés.

L’électricité n’aura pas le dernier mot, et cette séance de « scratch » orchestrée par une DJette ensorcelante, vaut bien les premiers émois lorsqu’on écoutait Erik M ou Martin Tétreault, les premiers platinistes qui révélaient l’envers des vinyles et jouaient du diamant. Son implication physique est importante. Voire fondamentale tant, dans cette production sonore un geste égale un son, que dans la réception du solo de la part des spectateurs… Cette recherche de la communion sur l'instant, de l’invitation à pénétrer l’univers artistique en train de se construire, nous cueille et nous transporte en un voyage immobile, aigre-doux, dont le plaisir sculpte notre perception du temps.

Mariachi improvise et, à ce titre, sa musique se vit dans l’instant, car notre présence modifie son jeu, modifie le cours du temps et nos sensations. Il faut vivre cette expérience avec elle : la voir et écouter ses sons s’engager sur ses routes sinueuses, aux horizons infinis, aux virages serrés et aux précipices insondables. Puis, retomber sur nos pieds, les oreilles éveillées et les sens aiguisés, tout gagné par le plaisir d’avoir vécu un moment unique.

La dompteuse électrique range sa boîte, enroule son câble et pose sa guitare. Mais ce n’est pas terminé. Loin de là. Car, les sons vont demeurer, ombres géantes et enveloppantes qui continueront à nous visiter, longtemps après la sortie du concert. 

Richard Maniere
Mariachi - Mariachi - No Lagos Musique