Le dernier homme debout de George Condo
Comme l’a analysé Félix Guattari en 1990 au sujet des peintures parisiennes de Condo: « cette déconstruction structurale s’opère à partir de deux procédés : une inversion de l’énonciation et une saturation de la toile ». Vous voilà prévenus et aptes à entrer à la galerie Almine Rech pour voir de quel détournement et réévaluation est faite son œuvre actuelle.
Cette nouvelle exposition, a pour titre Life is Worth Living, phrase extraite d’un courrier que George Condo a adressé à son ami de longue date Bernard Ruiz-Picasso, l’artiste présente des œuvres récentes en dialogue avec un ensemble plus ancien de peintures et de sculptures réalisées à Paris entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. Au cours de cette période, Condo expérimentait en peinture différents médiums et styles, qu’il combinait comme, par exemple, l’huile et le collage pour décrire les formes linéaires délicates de la composition Les Quatre Femmes (1989, huile et collage sur toile, 200 × 250 cm). D’autres œuvres telles que The Headless Harlequin (1989, huile sur toile, 220 × 189,8 cm) et When the Elephant Says No (1986, huile sur toile, 206 × 318,2 cm) témoignent des expérimentations de Condo, mêlant peinture et dessin selon un procédé de déconstruction structurale, que l’artiste a employé pendant une grande partie de sa carrière jusqu’à nos jours.
Les nouvelles peintures s’inscrivent dans la continuité de cette exploration picturale telle que décrite par Guattari et comprennent deux triptyques de grand format. Le chaos et la confusion de la situation politique américaine actuelle y sont signifiés dans des compositions all-over denses à la limite de l’abstraction, qui mettent en exergue la folle et absolue paranoïa qui enveloppe férocement le monde. The Investigation (2017, huile et pigments sur lin, 254 × 609,6 cm, triptyque) et Collusion (2017, huile et pigments sur lin, 208,3 × 609,6 cm, triptyque) abordent des sujets de l’obsession des média et de la politique. Elles sont peintes d’une manière gestuelle abstraite qui se veut capturer la vitesse à laquelle l’information change, comme l’esprit en ébullition de l’artiste, mais aussi faire écho à l’étrange irréalité du phénomène des « fake news » ou des informations truquées.
Condo avait prédit ce changement en regard de la perception globale médiatique dès la fin des années 1980 dans un manifeste intitulé Artificial Realism, une expression qui s’appliquait alors à sa pratique et l’évolution de son esthétique, mais qui en est depuis venue à résumer l’essence même de notre confusion quotidienne s’agissant de ce qui est réel et de ce qui ne l’est pas. The Last Man Standing (2017, huile, graphite et pigments sur lin, 203,2 × 190,5 cm) représente sur un arrière-plan rouge explosif la figure d’un « reporter », tel que qualifié par l’artiste, en train de fumer et d’attendre l’exclusivité d’un scoop qui n’arrivera probablement jamais. Inside the West Wing (2017, huile et graphite sur lin, 198,1 × 233,7 cm) est une représentation presqu’orgiaque de la décadence et de la trahison, mais aussi du réseau imaginaire des activités secrètes auxquelles personne n’a l’autorisation d’assister, mais que tout le monde ne peut que trop bien imaginer. Sombre et effrayante, la peinture Back Channel (2016-2017, huile, pigments et peinture métallique sur toile, 213,4 × 208,3 cm) figure quant à elle le sentiment paranoïaque qui s’empare potentiellement de notre imagination collective face à la découverte de tels scandales médiatiques.
Entre 2016 et 2017, Condo est l’objet de Confrontation, la toute première exposition d’envergure dédiée à un artiste contemporain au musée Berggruen de Berlin. Sous le commissariat d’Udo Kittelmann en collaboration avec l’artiste, cette exposition présentait une large sélection de ses travaux depuis le début des années 1980 jusqu’à nos jours en dialogue avec des œuvres d’art moderne majeures empruntées aux collections de la Nationalgalerie à Berlin.
Enfin, The Way I Think, la rétrospective des dessins de Condo qui s’est tenue récemment à la Phillips Collection de Washington sous le commissariat de Klaus Ottman, sera présentée au Musée d‘Art Moderne Louisiana, au Musée d‘Art Moderne Louisiana, au Danemark, du 9 novembre 2017 au 4 février 2018.
Faire évoluer la peinture au gré du politique et des avatars trumpiens du moment n'est pas le moindre intérêt de cette expo qui fait résonner d'un même élan passé et présent par le biais de l'histoire de l'art et de l'actualité.
Pierre Nietzsche le 25/10/17
George Condo - The Last Man Standing -> 18/11/17
Galerie Almine Rech 64, rue de Turenne 75003 Paris