Sur la terre comme au ciel avec Jiang Jiechang

Après ses Underground Flowers en 2015 à la FIAC qui proposaient des os en porcelaine à décors bleu Ming placés dans 270 boîtes en bois rangés dans des étagères, sa dernière exposition chez Jeanne Bucher Jaeger, Sur la terre comme au ciel, présente une sélection d'œuvres de ces vingt dernières années. Du lourd !

Visuel de l'expo

Diplômé de l’Académie des beaux-arts de Guangshou et formé auprès des grands maîtres taoïstes, Yang Jiechang manie le pinceau depuis l’âge de 3 ans. Initié à la calligraphie et à la peinture chinoise traditionnelle, l’artiste est invité à se rendre à Paris afin d’y exposer ses œuvres dans l’exposition mythique du Centre Pompidou en 1989, Les Magiciens de la Terre. Il craque sur Paris et reste sur place.

Yang Jiechang, Massacre, 1982 Encre et couleurs minérales sur papier — 330 × 320 cm

Cette invitation change le cours de sa vie et il décide de s’installer définitivement en France. La série d’œuvres exposée, Cent couches d’encre, sera développée par l’artiste jusqu’au début des années 2000. Celle-ci est constituée de dessins en épaisseur de couches successives d’encre traditionnelle, obtenue par distillation de charbon de bois de cyprès, de différentes huiles essentielles, résines et extraits de plantes médicinales ; le traitement précis du papier de riz et des bandes de gaze permet à l’artiste de fixer la matière en épaisseur, par la répétition, et de jouer à la fois du relief et de la brillance sur fond mat.

Yang Jiechang, Oh My God/Oh Diu, 2002 Encre et acrylique sur toile — 103,5 × 73 cm

La calligraphie intitulée I often do bad things, lettre d’amour que Yang Jiechang a envoyé à son épouse Martina en 1987, place le concept du mal comme une énergie créatrice et esthétique mise en mots. Cette œuvre aide l’artiste à transgresser cette « frontière utopienne » en positionnant son œuvre à l’encontre des conventions esthétiques, des obligations idéologiques et du politiquement correct. Le diptyque calligraphié Oh My God/Oh Diu (2002-2005) montre deux panneaux complètement recouverts d’une écriture épaisse noire : un panneau avec l’exclamation Oh my God, l’autre avec l’injure cantonaise Oh Diu. Les vidéos placées à coté l’enregistrent en train d’écrire et montrent ces expressions. Yang a écrit oh my God/Oh Diu en réaction aux événements du 11 septembre à New York.

Devenues figuratives, ses peintures récentes sur soie de style Gong-bi voinet l’artiste tenir son minuscule pinceau dans un axe parfaitement vertical au support, afin d’y impulser dans l’instant un trait clair, prononcé et pointu. L’usage de la céramique ou de la sculpture dans l’œuvre Underground Flowers, 1989-2009 est une extension calligraphique, sur un nouveau support, de ce que l’artiste ne peut réaliser en peinture. Composée de 2009 os en porcelaine de la Dynastie Ming (1368-1644) présentés dans des caissons en bois, elle incarne une réflexion sur le temps et les bouleversements politiques mondiaux surgis entre 1989 et 2009.

 Yang Jiechang, Difficult, 2010 Encre et acrylique sur papier, marouflé sur toile — 105 × 105 cm

Les œuvres de l’exposition sont liées aux événements actuels et expriment la conviction de Yang Jiechang quant à la participation et l’action comme vecteurs majeurs de la création artistique. Cette position est également évidente dans le coup de pinceau à l’encre de l’artiste de 2010, intitulé Difficult qui peut être compris comme l’expression artistique renforcée de l’artiste sur la situation de notre monde contemporain.

 Yang Jiechang Relics 3 — Gorinto, 2014 Encre et acrylique sur papier, marouflé sur toile — 62 × 142 cm

Dans toutes ses œuvres, qu’elles soient violentes ou qu’elles ouvrent vers un espace spirituel, Yang Jiechang nous entraine au-delà du visuel, chacune se faisant proposition du dépassement des catégories ou des notions d’identité stériles figées dans le temps.

Il invite l’observateur à considérer l’art et la vie avec une force créative ouverte, sujette à des multiples et perpétuelles transformations. Nous ne sommes pas dans des formes picturales faciles qui ne sont que les représentations d’une structure demandant une simple virtuosité picturale ; pour Yang Jiechang, c’est le travail de l’esprit animant ces formes picturales qui est autrement plus complexe et difficile - et son œuvre doit être vue comme un acte de sublimation entièrement voué au renouveau et au sacré.

Marrant non, qu'un Chinois se réclame à la fois du sacré et du politique pour parler du monde ? En tout cas, la pratique d'un maître est ici à l'œuvre sans faire aucune concession ni rester sur d'anciens acquis. Recommandé !

Maxime Duchamps avec galerie

Yang Jiechang - Sur la Terre comme au Ciel → 12/02/17
Galerie Jeanne Bucher Jaeger 5 & 7, rue de Saintonge75003 Paris