Les Bittes de la mort de Judith Bernstein, engagées et revendicatives

John Coltrane avec "Alabama", Charles Mingus avec "Fables of Faubus" ou Judith Bernstein avec "Cockman" ont pourfendu les scandales de la société américaine depuis les années 60. Et depuis cette époque, Judith Bernstein a dessiné ou peint plus de 500 phallus en cinquante ans de carrière. Son dernier livre, Dicks of Death, fait le point sur la question.

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Voilà une sortie de livre qui arrive à point nommé. Les fameuses bites de Bernstein ont servi de symbole de protestation contre le sexisme, le machisme, la guerre et l'oppression sous toutes ses formes. Et ce, depuis que cette pionnière féministe a imposé son art à Yale dans les années 60. Son point de départ a été  le bourgeonnement de l'art féministe et sa frustration due au chauvinisme du milieu de l'art - et de la société américaine de l'époque.

Judith Bernstein - Jack off on US policy in Vietnam. The New Museum

Dès lors, le phallus est devenu pour elle, dans ses manifestations symbole de machine ou d'arme et métaphore du féminisme en face de la posture mâle. Ce qui ne l'a aucunement empêchée de continuer à en peindre et dessiner depuis lors … Les choses n'ayant pas forcément changées depuis. Alors que vendredi dernier était intronisé Président des USA, un homme possédant un sérieux pédigrée sexiste allié à une rhétorique du même métal - et que les femmes se rassemblent pour faire entendre et respecter leurs droits dans le monde entier, les études phalliques symbolistes de Bernstein redeviennent d'une sombre actualité.

Judith Bernstein, “Cockman Always Rises Orange” (2015), acrylic on canvas, 84 x 84 inches (all images courtesy Mary Boone Gallery, New York)

Dans un récent mail, Bernstein affirmait : "Une fois encore les phallus se redressent ( Cokman has risen again) mettant en danger et la paix à laquelle les femmes peuvent aspirer, comme leurs libertés civiles. Au même titre que les minorités, les immigrants et les LGBT qui avaient eu un répit durant les mandats Obama." Cockman représentant, dans son œuvre, la figure du mâle belligérant et oppressif, croisé de nombreuses fois au cours de son existence.

Judith Bernstein, “Are You Running with Me Jesus?” (1967), mixed media on paper, 26 x 40 inches

Bernstein a créé sa tête de bite en 1966, en réponse à la rhétorique ségrégationniste du Gouverneur de l'Alabama Georges Wallace, l'auteur du "délicat" slogan : “La ségrégation maintenant, demain et pour toujours." "Aussi raciste que réactionnaire, c'était vraiment un crétin" ( double sens de dick - qui fonctionna ensuite pour Nixon, alias Tricky Dicky), poursuit-elle. Dans ses premières incarnations, Cockman, la figure stylisée était toujours entourée de textes récupérés dans les pissotières, du genre d'icelui : "Pourquoi cuisiner à la maison quand on peut manger dehors ? " ( vous voulez le sous-texte ?)

Judith Bernstein, “Come To Iraq” 

A la suite de cela, Bernstein a continuellement agi politiquement à l'encontre des soi-disants surmâles en variant formes et couleurs des ses artefacts: pistolets fantaisies pour The Fun Gun (1967) ou Shooters (2010), comme monstres carnivores pour Double Header (1976). Militante pacifiste, elle a lutté contre l'enlisement au Vietnam avec des pénis enroulés dans des drapeaux américains ( comme les soldats morts au combat doivent l'être ) sur lesquels étaient écrit “Fuck Vietnam” ou “Union Jack-Off.” Bernstein se souvient encore de la colère provoquée par la conscription obligatoire qui mit littéralement le pays en rage pour sa propension à rendre l'égo masculin de la taille d'un éléphant, sans vraiment l'assumer.

Et si ses travaux s'étaient éloignés de la figure de Cockman depuis des années, c'est l'arrivée inopinée en politique de Trump l'an passé qui l'a fait revenir à cette figure - tant il ressemblait au pire de ce que racontait Wallace -.

" Trump a fait ressurgir tout ce qu'il y a de pire dans le pays, et en le faisant, nous a rappelé- surtout à nous les femmes - QUE NOUS DEVONS LUTTER ! "

Jean-Pierre Simard

Judith Bernstein - Dicks of Death - Edition Patrick Frey (Zurich).