Norwood, le "Sur la Route" de Charles Portis
Soldat démobilisé, Norwod rentre au Texas mener une vie de merde au milieu des siens qui l'ennuient. Contacté par un malfrat, il commencera par remonter des voitures volées sur New-York, puis les abandonnera pour s'y rendre par ses propres moyens ; avant de revenir au pays et y épouser Rita Lee. Certains critiques américains disent que Portis aurait pu être Cormac McCarthy, mais qu'il avait trop d'humour pour cela…
Déjà connu ici pour l'adaptation que les frères Coen ont faites de True Grit et la récente publication (aussi chez Cambourakis) d'Un chien dans le moteur en 2014, Norwood est le premier roman de Charles Portis ex-reporter au New York Herald Tribune, cher à Godard et Jean Seberg, ce Norwood daté de 1966 possède un humour décalé bien à lui, et un laconisme tout texan pour les dialogues. Newsweek disait de lui ceci : "On a comparé McCarthy à Faulkner, Portis à Twain, quand on devrait dire que tous deux ressemblent à Beckett, avec chacun ses histoires. » C'est dire le niveau du mec.
Rien ne s'y passe comme prévu. Au fil de ce road trip - qu'il accomplit successivement en voiture, en camion, en train de marchandises et en bus - il croise moult personnages hauts en couleurs dont, un camionneur psychopathe et paranoïaque, des midinettes en quête de grande vie, nombre de malfrats, un nain qui a connu son heure de gloire dans différents cirques... et Rita Lee, qui deviendra sa femme. Autant de rencontres propices à des situations cocasses et des dialogues vifs et surtout concis qui témoignent d'emblée de l'humour, du sens du rythme et de la narration de l'auteur. De quoi relever encore la verve ébouriffante et méchamment drôle de Charles “Buddy” Portis et réjouir les amateurs de Hunter S. Thompson, Jim Dodge, James Crumley, ou encore le regretté Elmore Leonard. A croire que Portis, lors de ses aventures au sein de la rédaction londonienne du Herald au milieud es 60's, avec Tom Wolfe a pigé le sens de l'époque qui délirait sec et qu'il n'a eu qu'à l'adapter à une situation américaine, avec la bougeotte et le nowhere to run adapté pour le Sud.
Le lien est facile à établir avec les écrivains beat de la bougeotte, et le Sur la route de Kerouac qui remettait l'Amérique des 50's en action, car Norwood, le personnage vit et se déplace juste avant l'été de l'amour 1967 qui brise les carcans. Mais n'étant pas dans le mood de l'époque, il trimballe son Texas avec lui, comme un personnage de Beckett … Et c'est même assez savoureux que ce soit Tom Wolfe qui ait finalement écrit Acid Test sur la bande de Ken Kesey, lui le collègue journaliste d'avant - qui resta son meilleur ami, et le plus drôle.
Portis a écrit cinq romans : Norwood, True Grit, The Dog of the South (Un chien dans le moteur, Cambourakis, 2014), Gringos et Masters of Atlantis formant une sorte de trilogie secrète, restant à traduire … Ses cultistes – lecteurs, écrivains, journalistes - outre-Atlantique, semblent incapables de s’accorder sur le meilleur des trois. Nous, on attend le reste des publications avec impatience. Mais celui-ci nous réjouit tout particulièrement pour la vitesse des actions et le rythme qui ne baisse jamais.
Jean-Pierre Simard
Norwood de Charles Portis, éditions Cambourakis 2017