Entre 1968 et 1974, Saïgon a rocké. Si, si !
Apprendre à digérer la culture américaine, en temps de guerre, c'est le propos de cette compilation Saïgon Rock & Soul - Vietnamese Classic Tracks 1968/1974. Ou comment mimer/miner l'occupant pour lui renvoyer ses propres fantasmes.
Publié à l'origine en double compilation vinyle, ce disque a réjoui quelques cœurs en exil et montré la vigueur d'une scène qui s'est servie de la culture à l'export la plus forte du moment pour y coller ses variations, son discours, ses angoisses et ses rêves.
Quand on y repense, c'est quand même étonnant que ce soit la guerre qui ait favorisé l'émergence d'une scène locale vietnamienne, comme cela fut le cas aussi pour le Cambodge tout proche ( on y reviendra à un autre moment pour un papier similaire). Mais toujours est-il qu'entre la vraie occupation du pays en 1968 et l'arrivée de l'armée de libération communiste à Saïgon, en s'appuyant souvent sur les studios de l'armée américaine, la scène locale s'est développée et à diffusé nombre singles qui envoyaient vraiment le bois.
Ne pratiquant pas seulement le mimétisme, mais adaptant les influences pop, rock et soul après la diffusion mondiale des Beatles, les scènes asiatiques ont collé à l'évolution de la musique occidentale ( on le vérifie aussi au Japon ( pour cela écouter notre mix Provoke pour en découvrir l'ampleur) et faisant d'une pierre (qui roule) deux coups (de fusil) ont calibré leurs passions pour les mettre en son.
De nombreux sous-genres de than nac la musique moderne vietnamienne ont ainsi fait flores, des musique jouées dans les bars ou les petits - qui avaient aussi pour principal public les soldats en permission. Et s'ils ne font surface que depuis la sortie de cet album, c'est juste que diffusés à l'époque en 45t ou en cassettes, ils n'avaient jamais fait l'objet d'une publication en album précédemment.
Côté psychédélisme, le "Black Sun" de Phượng Hoàng & Minh Xuân avec leur sauvagerie tout en fuzz lorgne bien du côté de Blue Cheer quand "Autumn Memory" de Thanh Lan rappelle férocement le James Gurley du Big Brother. Mais si les moments stoner ne manquent pas sur la compilation, les reflets pop divers et variés avec leurs arrangements du cru sont ici aussi bien représentés. Il en va ainsi du "Dawn" deThai Thanh avec son sax à influences R&B et son jeu de guitare à Wes Montgomery en octaves, pendant que "Our Treasures" du plus fameux combo rock du lieu Elvis Phu'o'ng joue des harmonies sucrées et à la Lovin Spoonful par dessus un orgue assez prenant.
L'arrivée des Vietcongs a mis fin à la fête et fait doucement passer pour 15 ans les influences de l'Ouest à la trappe. Seul problème de cet état de fait, elle est tellement revenue en force, cette culture occidentale qu'on trouve aujourd'hui là-bas les mêmes choses qu'ici, la corruption ayant changé d'uniforme, mais pas de finalité. Et la musique diffusée sur place, a le même relent d'égout à vocoder que partout ailleurs. Mondialisation mon amie, que de ravages en ton nom : d'abord la guerre, puis le marché. Pendant le pillage la vente continue. As usual !
La compilation vinyle est assez dure à trouver à un prix abordable, mais on trouve beaucoup de titres sur le tuyau à vidéo…
Jean-Pierre Simard
Saïgon Rock & Soul - Vietnamese Classic Tracks 1968/1974 (Sublime Frequencies)