Roots : l'impossible parenté de Valérie Mréjen
Avec Roots, Valérie Mréjen se focalise une nouvelle fois sur la famille. Une famille hautement frictionnelle dont l’arbre généalogique est composé de noms de marques internationales à connotations Bonne Maman et Uncle Ben’s. En jouant de mystifications multiples, elle adapte les images et les mots, mais use aussi de faux semblants et de clichés, pour un escamotage révélateur.
Les nouvelles œuvres présentées, une série marquant, après de nombreuses années sur d’autres supports, le retour aux dessins qui associent des noms de produits pour former des lignées étrangement familières sont le sujet de Roots : un mot pour l’absence de confort, des conditions spartiates ou une installation sommaire.
Et cette forme de rudesse fonctionne à l’exact opposé de l'image que ces mères, grand-mères, oncles et tantes révélées à l’écran essayent de nous donner.
Avec un aïeul composite, une figure de petite Mamie rassurante et universelle, elles font au mieux pour produire l’impression du comme à la maison, du comme dans votre enfance, du comme si vous aviez tous les mêmes images et fictions en partage. Mais cela, ce n’est qu’un rêvede putes/de pub que Mréjen avec délice, vous enfonce au coin de la cornée pour qu’elles fassent bien mal en passant et révèlent leur inavouable fausseté.
Plasticienne, réalisatrice, écrivain, Valérie Mréjen multiplie les moyens d'expression pour mieux explorer les possibilités du langage. Ses vidéos sont souvent inspirées de souvenirs, d'événements quotidiens, de détails cruels et burlesques de l'existence, de lieux communs, de malentendus... Elle y mélange divers types de récits rapportés ou vécus qu'elle réécrit et réarrange, avant de les mettre en scène.
L’emploi de l'expression « c’est roots » permet de tirer à la ligne, comme de pointer un défaut, que l’utilisation de l’anglais rend aussi sympathique que distancié.
On dit « c’est roots » comme on dirait « c’est rock » et de ce décalage commis en commun sur l’imaginaire à portée de tous ressort une autre forme de langage, de mise au monde, de mise à nu du discours publicitaire, même. Ici, la distanciation est artistique, voulue et assumée.
Mais comme d’habitude avec Mréjen, ce qui ressort du propos tire vers l’ailleurs. Un ailleurs tellement dissemblable qu’il en devient le monde dans lequel on s’ébat, entre une rillette à la con, une assurance de merde et une voiture impossible à acheter. Bienvenue chez vous !
Jean-Pierre Simard
Valérie Mréjen / Roots 6/9->23/10/16
Galerie Anne-Sarah Benichou
45 rue Chapon75003 Paris