Surveillance vidéo # 7 : Shy Layers / Stabilized
Fut un temps d'innocence où un album de KLF ("Chill Out", 1990) ou un single de Tranquillity Bass ("Cantamilla", 1994) vous faisaient toutes les vacances, qu'ils incarnaient dans sa quintessence même - disons l'émoi de la retrouvaille avec soi-même un spliff au bec à compter les étoiles après un bain de minuit, après avoir passé des mois à ne plus être qu'un numéro de Sécurité sociale. C'est dire l'importance de ces disques rares capables de détendre l'esprit, et, paradoxalement, de vous faire revenir doucement sur terre après une nuit blanche et son after en vous élevant au-dessus de vous-mêmes.
Hélas, dans les années qui suivirent, des entrepreneurs ont entrepris (c'est leur définition) de détendre l'atmosphère plutôt que l'esprit, ce qui permettait de garder les consommateurs de l'été derrière des bars, et nous eûmes droit à une avalanche de compilations de morceaux de "lounge music" - le genre tenant rarement la distance - qu'il suffisait d'entrer dans le mange-disque à côté du barbecue pour se croire au Bouddha Bar (création du George V Entertainment Group, cela ne s'invente pas), ce qui n'était pas si mal que ça, on l'avoue, l'admet, l'accepte, Claude Challe et Ravon ayant très bon goût, mais n'a jamais amené personne plus haut qu'un nirvana d'opérette où l'ego ne se penche au-dessus de ses barrières que pour tomber dans un troisième Mojito. Aujourd'hui, la mode en est un peu passée, et seuls les hyper-marchés de Perpète-Les-Bains proposent encore ces compilations de tubes de l'été qui donnent une furieuse envie de se réfugier à Nuuk (capitale du Groenland et bientôt du monde, 17 036 habitants au 1er juillet 2015) pour y vivre un hiver perpétuel. Nous saluons donc avec soulagement (après y avoir réfléchi à deux fois, on attendra encore quelques décennies de réchauffement climatique avant d'aller vivre à Nuuk) la sortie du premier album de Shy Layers sur le label allemand Growing Bin - on se demande pourquoi JD Walsh, artiste multimédia new-yorkais, a choisi de se cacher derrière ce pseudonyme emprunté à un tool d'After Effects, logiciel d'Adobe, mais on subodore une réelle timidité chez lui à voir sa photo sur son site http://www.jdwalsh.com/about/ et le peu d'empressement qu'il y met à vendre son disque, seulement mentionné en passant dans sa bio, ainsi que sa critique très élogieuse dans Pitchfork, quand tant d'autres en auraient fait des tonnes - parce qu'on y trouve quelques morceaux qui peuvent nous sauver l'été. Ce n'est pas l'ambient. Ce n'est pas de la lounge. C'est encore moins le tube de l'été. Mais c'est frais comme le passage d'une aile d'albatros sur les esprits échauffés par tous les malheurs qui nous tombent dessus cette année. Et d'un grand classicisme.