Varesi, le nouveau héraut du polar italien
Ses recherches le conduisaient toutes vers le Pô, sur cette terre plate où l'on ne voyait jamais le ciel. Et lui ne croyait pas aux coïncidences.
De ce roman, le premier paru en français, mais dernier publié en 2015 , de Valerio Varesi qui compte une quinzaine d’enquêtes du commissaire Soneri , The Independent dit ceci : "Dans Le Fleuve des brumes, Varesi réussit un double tour de force : une analyse tranchante de l'ignoble passé de son pays, mariée à la perspicacité narrative d'un maître conteur."
Dans une vallée brumeuse du nord de l’Italie, la pluie tombe sans relâche, gonflant le Pô qui menace de sortir de son lit. Alors que les habitants surveillent avec inquiétude la montée des eaux, une énorme barge libérée de ses amarres dérive vers l’aval avant de disparaître dans le brouillard. Quand elle s’échoue des heures plus tard, Tonna, son pilote aguerri, est introuvable. Au même moment, le commissaire Soneri est appelé à l’hôpital de Parme pour enquêter sur l’apparent suicide d’un homme. Lorsqu’il découvre qu’il s’agit du frère du batelier disparu, et que tous deux ont servi ensemble dans la milice fasciste cinquante ans plus tôt, le détective est convaincu qu’il y a un lien entre leur passé trouble et les événements présents.
Mais Soneri se heurte au silence de ceux qui gagnent leur vie le long du fleuve et n’ont pas enterré les vieilles rancœurs. Les combats féroces entre chemises brunes et partisans à la fin de la guerre ont déchaîné des haines que le temps ne semble pas avoir apaisées, et tandis que les eaux baissent, la rivière commence à révéler ses secrets : de sombres histoires de brutalité, d’amères rivalités et de vengeance vieilles d’un demi-siècle...
Comme ces alluvions, cette vase qui tapissent le fond du Fleuve, créant des remous opaques dans lesquels on se perd, dans lesquels nos repères deviennent flous et incertains, comme la mémoire des anciens, comme les souvenirs de l’Histoire qui
s’enroulent à nos chevilles, nous collant au corps comme la sueur des mauvais rêves, comme l’odeur rance des cauchemars. Comme les filaments d’une vie d’errance qui s’enroulent et se déroulent, comme les langues de brume qui jouent les regrets et les méfaits passés, comme les tentacules de la honte qui ne cessent de nous attirer dans les abîmes saumâtres du fleuve.
Qu’est-ce qui a bien pu mener le philosophe Varesi, auteur d’une thèse sur Kierkegaard, d’abord au journalisme, puis au polar, on ne sait. Mais ce que l’on découvre dès les premières page de son polar humide, c’est le style puissant qui fait parler les rivières et murmurer les paysages, la poésie chafouine de la région de Parme et de la plaine du Pô où se déroule l’enquête.
Et le commissaire Soneri est lettré aussi qui suit ses procédures comme autrefois Scerbanenco ou aujourd’hui Camilleri, au fait du fonctionnement de la justice de son pays, mais à l’écart pour bosser tranquille. Si, aux précités il emprunte la rhétorique policière, c’est plus du côté du regretté Umberto Eco qu’il profile ses analyses. L’intrigue reposant sur une querelle fasciste datant de 1944 mêlant staliniens et chemises brunes dans un climat que n’aurait pas renié le Jean Vigo de l’Atalante pour les descriptions du monde des bateliers du Pô ; ce roman noir et dégoulinant d’une cru hivernale a tous les atours d’un vrai grand livre. Si on veut être complet, on ajoute aussi la passion de la cuisine entretenu au fil des romans de l’espagnol Manuel Vasquez Montalban.
Mais tout cela fictionne avec un personnage fortement actuel, qui fait des galipettes sur les lieux de l’enquête avec son amante avocate et se tient loin de toute préoccupation politique, un peu désenchanté. A l’inverse du livre, qui est un parfait enchantement.
Que plus de 300 pages d’enquête s’articulent autour de la crue et décrue du Pô pour une rivalité d'une époque pourrie et un tour de passe-passe… l’eusses-tu- crû ?
Le Fleuve des brumes de Valerio Varesi (Agullo/Noir)
Jean-Pierre Simard