La guerre par l'absurde de Vaughn Bode

Cent vignettes poétiques et caustiques pour dire drôlement la guerre absurde.

Publiées pour la première fois en 1963 sous forme d’un simple portfolio artisanal, éditées en recueil en 1977, deux ans après le décès de l’auteur, et enfin traduites en français en 2013 par Jean-Paul Gabilliet aux éditions Aux Forges de Vulcain, dans la collection Arts dirigée par Katia Schneller, ces cent vignettes de BD constituent la première œuvre complète de celui qui deviendra l’un des auteurs de bande dessinée majeurs de l’underground américain, à la charnière des années 1960 et 1970.

Dans cette édition bilingue imprimée tête-bêche, proposant de plus en français comme en anglais (grâce à une traduction ad hoc d’Alexis Pernsteiner) une excellente postface de Jean-Paul Gabilliet, qui constitue quasiment à elle seule une véritable (et remarquable) monographie sur l’auteur et sur son ouvrage, on sera donc conquis par l’humour noir et la poésie absurde de ce véritable « Catch 22 » graphique et langagier, fonctionnant largement grâce au choc entre chaque image, avec ses militaires allemands, soviétiques ou américains de la deuxième guerre mondiale, systématiquement débonnaires alors même qu’ils sont confrontés au désastre, à la cruauté ou même à d’improbables oasis de douceur inattendue.

Moquant aussi bien le « Mein Kampf » d’Hitler, en soumettant le titre même à une déformation comique et insensée, que les « Peanuts » de Charles Schulz et leurs aphorismes (en remplaçant la formule du « Happiness Is a Warm Puppy » de 1962 par cent énoncés commençant par « War Is… »), celui dont le nom, variable dans le temps, s’était alors fixé en -Vaughn Bodé nous offre un exceptionnel pied-de-nez poétique au sérieux mortel des grandes boucheries et à leurs justifications patriotiques, dans lesquelles les « petits » souffrent et meurent tandis que les « grands » prospèrent.

 

 

La Guerre, c’est sauter en parachute derrière les lignes ennemies en ayant oublié son fusil…

La Guerre, c’est recevoir un ordre vraiment très con et pas pouvoir venir te plaindre après, parce que tu t’es fait tuer…

La Guerre, c’est quand en plus de te faire arracher la jambre droite, tu t’es fait casser ta montre…

La Guerre, c’est quand les gars font tourner leur dernière cigarette et que tu la fais tomber dans la boue !!!

La Guerre, c’est foncer sur l’ennemi en lui tirant la langue…

La Guerre, c’est être agent secret… et découvrir d’un seul coup que t’es plus secret du tout…

La Guerre, c’est quand tu bombardes le quartier général de la marine… juste parce que t’aimes pas leur petit air prétentieux…

La Guerre, c’est cueillir des fraises pendant une patrouille très risquée…

La Guerre, c’est rendre fous les mecs d’en face en bombardant leurs fourgonnettes à crèmes glacées…

La Guerre, c’est tirer sans faire exprès sur ton enfoiré de sergent…

La Guerre, c’est faire attention à rater aucun nid-de-poule quand tu conduis la voiture du général…

La Guerre, c’est être un sniper planqué dans un arbre qui tire sur tout ce qui bouge…

Il faut un trait et une langue acérés et authentiquement rusés pour provoquer ainsi chez la lectrice ou le lecteur, à chaque vignette ou presque, une hésitation, une oscillation, une interrogation entre rire et horreur, entre simplement fou et pleinement absurde – et devenir un indispensable petit monument de la littérature graphique.

Dǎs KämpF de Vaughn Bodé aux éditions Aux Forges de Vulcain
Coup de cœur de Charybde2
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VaughnBodé, en 1962 et en 1972.