Radiohead vous invite à la piscine
A Moon Shaped Pool, neuvième album de Radiohead est enfin sorti, après cinq ans d’effort et il est constitué de titres dont certains sont des relectures d’existants comme Numbers (autrefois, Silent Spring) ou qu’il joue sur scène depuis dix ans, comme le morceau introductif Burn the Which, accompagné ici du London Contemporary Orchestra. Il est produit, as usual, par Nigel Godrich.
Psyché-jazzo-folk cet album, on va dire en s’appuyant justement sur Numbers qui louche du côté du Buffalo Springfield en mode Expecting to Fly avec des arrangements de cordes sur des guitares entrelacées, ou le moreau final True Love Waits, autrefois articulée autour de la guitare et de la voix, qui se voit ici corrigé en piano-voix bouclés et en surimpresssion ; un autre titre joué live depuis 95.
On attendait les suites des aventures des deux co-dirigeants du groupe, Yorke et Greenwood ; le premier pour ses écarts avec Atom for Peace et le second du côté de sa récente expérience des musique de films. Et c’est bien le cas, puisque la discrétion des autres les confine à l’accompagnement de luxe. On attendait tout autant un album qui pousse aux confins de l’électronique furibarde ou à la découverte de nouveaux paysages robotiques, depuis Kid A une spécialité, mais c’est ailleurs qu’on les trouve. Passé à l’épreuve de l’alambic, cette piscine en forme de lune va plutôt piocher dans le catalogue du groupe : relisant, détissant, remodelant, jusqu’à la substantifique nouvelle moelle ici proposée. Et ce n’est pas un album facile ; Richard Bellia le moquait même, en disant « Plus facile à télécharger qu’à écouter jusqu’au bout… »
Préparez-vous à de multiples écoutes, à mettre en relation des climats intenses et d’autres flottants, de la bossa nova, comme sur Present Tense, ou des montées bloquées en mid tempo électro pesants comme sur Tinker Tailor, Sailor Rich Poor Man Beggar Man Thief. Et tout d’abord, pour en saisir le mouvement, juste écouter les volutes de la voix de yorke, sans chercher à comprendre là où il veut nous emporter. En immersion. C’est de là qu’on peut commencer à se laisser flotter à son tour dans la vague et le ressac de ce son calibré au plus près du propos.
Nappes de sons, nappes de cordes, voix posées en équilibre au sommet de cette pyramide aux ambiances floutées qui dénonce, au fil de sa narration - ce que toute pop song du XXI e siècle se doit d’envisager - ; à savoir un monde rock déshumanisé et politiquement niais (Identikit), qui n’a rien compris à l’amour ( True Love Waits) ou à l’écologie, mais sait toujours faire de la musique.
Au final, c’est un album monstrueusement produit où la justesse du son s’offre d’abord à vous en vous invitant à aller plus loin. Et, si vous vous y arrêtez, c’est juste un album de Radiohead de plus, bon sans plus. Mais, si vous laissez aller à d’autres écoutes en apnée, ce que le disque oblige (quasi pour se dévoiler), vous y trouvez rapidos 11 raisons d’avoir attendu cinq ans pour l’écouter. Autant de titres que de climats dévoilés, autant d’approches sonores à étages qui sont tout autant de l’ancien et du nouveau Radiohead. C'est singulier et toujours en avance. Cela fait même remonter une image de Thom Yorke en bouddhiste zen, se laissant traverser par le monde qui l’entoure pour le restituer aux malvoyants; assis au centre et vous offrant une vision périphérique sur icelui.
Ce disque est terrible de mélancolie, de profondeur, de lisibilité, de justesse. Je le déteste profondément pour son approche sensuelle d’un monde qui ne l’est plus. Mais je l’admire tout autant parce qu’il est une nouvelle approche surréaliste du monde, celle que Breton affichait dans son roman sur la folie de l’amour Nadja « La beauté sera convulsive … ou ne sera pas. »
Jean-Pierre Simard
Radiohead A Moon Shaped Pool