Donovan Wylie : en attendant les barbares
L’avant-poste en Afghanistan comme décryptage photo-géographique d’un conflit contemporain.
« Outposts » est le dixième portfolio photographique de l’Irlandais Donovan Wylie, l’un des plus jeunes artistes de l’image reportage jamais entré chez Magnum (en 1998), qui s’était déjà largement illustré avec, par exemple, « The Maze » (sur la grande prison britannique de Belfast) en 2003, ou bien « British Watchtowers » (sur les tours de surveillance érigées par les Britanniques en Irlande du Nord) en 2006, alors qu’il devenait progressivement un spécialiste de la photographie renvoyant aux notions de territoire, de frontière et de conflit.
« Outposts » nous offre 26 clichés saisissants de bases opérationnelles avancées (les FOBs popularisées par le journalisme critique comme par le militainment, comme l’appellerait Roger Stahl, de ces vingt-cinq dernières années), héritières des avant-postes de la grande époque des guerres coloniales, construites dans la province de Kandahar, en Afghanistan, entre 2006 et 2011.
Comme dans les si passionnants « Week-end à Oswiecim » et « Week-end à Pripiat » de Patrick Imbert, comme dans les bouleversants « Open Wound: Chechnya 1994-2003 » et « Katrina: An Unnatural Disaster » de Stanley Greene, dans le « Permanent Error » de Pieter Hugo, ou encore dans le « Nomad » de Jeroen Toirkens et Jelle Brandt Corstius, l’art du portfolio photographique réussi n’appelle pas au commentaire épais : seules de brèves préfaces ou postfaces se chargent généralement de fournir un éclairage, de proposer quelques clés humbles pour lire ces images qui, précisément, se passent de mots.
Dans « Outposts », c’est Gerry Badger, le célèbre écrivain et historien de la photographie, qui nous offre quatre pages précieuses de commentaire discret et de mise en perspective fort bienvenue, reliant ce travail à l’ensemble de l’œuvre de Donovan Wylie autour de l’architecture du conflit, de l’imaginaire du fortin, et de la notion même de territoire et de contrôle de celui-ci. Fournissant par ailleurs un parfait complément, imagé et puissant, tant au reportage d’une Anne Nivat (« Les brouillards de la guerre – Dernière mission en Afghanistan » (2011) qu’à l’extraordinaire fiction d’un DOA (« Pukhtu Primo », 2015), « Outposts » offre aussi un stimulant apport aux réflexions tant d’un Yves Lacoste (« Paysages politiques », 1990) que d’un Laurent Henninger (« Espaces fluides et espaces solides : nouvelle réalité stratégique ? », 2012).
J’avais eu la chance de pouvoir contempler ces photos en « vraie grandeur », encore plus impressionnante, lors de la captivante exposition « Topographies de la guerre », au BAL en octobre 2011. Ce qu’en disait Nate Rawlings (en anglais) dans Time en octobre 2011 est ici.
Outposts – Kandahar Province de Donovan Wylie, éditions Steidl
Coup de cour de Charybde2
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