Le post bop funky de Marcus Strickland

Attention, on tient là la synthèse la plus probante des aventures du jazz de 2016 avec ce Nihil Novi ( rien de nouveau) du saxophoniste Marcus Strickland. Une antiphrase qui swingue à voir le 26/04/16 au New Morning

Depuis 2001 et son premier album en temps que leader Marcus Strickland s’installe doucement en haut de tous les classements des critiques de jazz new-yorkais. Un coup au soprano, un autre à l’alto, quand ce n’est pas au ténor. Mais le monsieur, premièrement remarqué par la légende la batterie Roy Haynes, alors qu’il encore au conservatoire va tourner avec lui pendant cinq ans,avant de croiser les anches avec d’autres célébrités comme le trompettiste Dave Douglas, Robert Glasper, ou le batteur qui fait sensation, Jeff Train Watts, voire Michael Brecker ou bien Pino Palladino et Lonnie Plaxico et tricoter avec Pat Metheny. Depuis, il n’aime rien mieux que réarranger des musiques que d’autres ont écrit pour un seul instrument, comme sa somptueuse version en trio du « Portrait of Tracy » de Jaco Pastorius, à l’origine un simple solo de basse.

Ce n’est plus un carnet d’adresses, c’est le who’s who du jazz de haute tenue; mais cela ne lui suffisait plus de faire aussi bien, il voulait aussi faire différent et avec Nihil Novi, contrairement à ce qu’affirme le titre , il tisse, il taille et il troue quelques brisées pour revivifier les alentours du blues urbain et y glisser de la soul, du funk, du hip hop et de nombreuses musiques africaines, du high life au blues malien, tendance Vieux Farka Touré.

Pas vraiment amateur du jersey à maille lâche, Strickland fait chatoyer les motifs, avec son nouveau quintet ; à la trompette Keyon Harrold, deux claviers :  Mitch Henry et Masyuki Hirano, le bassiste Kyle Miles et Charles Haynes à la batterie. Côté coloration musicale, on ouvre les portes du hip hop via ses rythme propres et on glisse la basse de Meshell Ndegeocello qui produit le tout.

Ainsi « Tic Toc » se dévoile afro-péruvien avec un chant post-bop du plus bel effet. « The Chant » s’ouvre sur une citation du "What’s Goin’On »  de Marvin Gaye pour pulser modal autour d’un motif de basse circulaire. « Talking Loud »  chanté par Jean Baylor cite les chansons hongroises de Bartok avec un traitement néo-soul à la J-Dilla avec orgue gospel et batterie fluide. Arrive ensuite le morceau de choix ( en clip plus bas) « Inevitable »  qui fait rivaliser le piano de Glasper avec la clarinette basse de Strickland soutenu par les nappes de batterie et le solo de Harold autour du chant de Jean Baylor. Plus loin , « Sissoko’s Voyage » mixefolk malien ethighlife sur un fond de saxo et batterie post-bop. « Celestitude » démarre en ballade soul avant de de bifurquer jazz modal et funky entre la basse de Meshell Ndegeocello et le clavinet de Henry, pour mieux se clore en afro-funk. Et l’album se termine avec « Mirrors » qui sinue d’afro-beat en proto-funk à la Headhunters passé à la moulinette Barry White et Norman Connors.

En gros, un album de jazz qui annule les contours, tout en restant dans l’idiome, mais s’offre agréable à l’écoute et facile d’accès. De plus, il prend quand même bien aux tripes - et cela en live, c’est rien que du bonheur.  

Jean-Pierre Simard


Marcus Strickland / Nihil Novi ( Blue Note)
En concert au New Morning le 26/04/2016