Charlie Feathers, l'oublié du tableau d'honneur du rockabilly

Les oubliés de la première vague, ceux qui ont fait passer la country au rock via le rockabilly, les Johnny Burnette ou comme ici Charlie Feathers, reprennent du poil de la bête avec des compiles. On en témoigne ici même.

Charlie Feathers, à gauche.

Charlie Feathers grandit dans la campagne à Holly Springs au nord du Mississippi. Ses parents sont simples métayers et il apprend la guitare avec son voisin, Junior Kimbrough, qui fera carrière tardivement chez Fat Possum. Il côtoie très tôt le blues rural, chante à l'église et écoute assidument le Grand Ole Opry à la radio. Ses premiers héros sont Bill Monroe et Hank Williams.

À seize ans, il accompagne son père sur la construction d'un oléoduc au Texas où, le soir,  il joue de la guitare dans les bars. À dix-huit ans il s'installe à Memphis où il se marie et embauche comme chauffeur dans une usine d'emballage. Il se décide un jour à pousser la porte du Sun Records de Sam Phillips qui va accepter de l'enregistrer. Son premier disque (I've Been Deceived / Peepin' Eyes) sort en 1955, huit mois après le premier disque d'Elvis Presley qu'il côtoie chez Sun. Mais Phillips décide de le produire sur son label secondaire Flip Records, filiale de Sun, ce qui le met à l'écart de la notoriété maison des Carl Perkins, Elvis et Johnny Cash. Co-auteur de Blue Moon of Kentucky, il est clair qu'Elvis s'est inspiré de son style pour y poser sa voix…

Finalement, devant les réticences de Phillips, Charlie Feathers quitte Sun pour rejoindre en 1956 King Records, le label de Cincinnati, pour lequel il enregistre plusieurs albums. Durant cette période il participe à de nombreuses tournées en compagnie de Carl Perkins et Elvis Presley. Pourtant, Charlie Feathers n'atteindra jamais la notoriété de ses deux acolytes et restera dans l'ombre du rockabilly. Défini à la fois comme - trop pur dans son style pour atteindre le grand public ( une belle merde de management), trop impatient pour vraiment réussir (à trop ruer dans les brancards devant les décisions prises dans son dos ) et même avec un meilleur nomde scène que ses partenaires … il est resté en demi-teinte, à presque réussir tout au long de sa vie, sans jamais vraiment dépasser ( même aujourd'hui) le cercle des collectionneurs et aficionado du rockabilly, genre qu'il incarne autant à la voix très marquée "hiccup" et au son - qu'il a aidé à définir. Son rock and roll est primitif, possédé et emporté.

Sa voix habitée et ses intonations toujours justes, surtout entrecoupées de hoquets qui la mettent savamment en relief. Mort en 1998 d'une attaque cérébrale, il a été introduit au Rockabilly Hall of Fame en 2007. Pionnier méconnu mais vital du genre, son "That Certain Female" a été repris par Quentin Tarantino, en 2003, dans Kill Bill 1; pendant que Cant's Stand It figurera dans la BO du Kill Bill 2. Avec les Cramps et Tarentino, il est entré de plain pied dans la culture pop, ce que les labels lui avaient toujours dénié. Et c'est un bien. Non ?

On va trouver sur Jungle Fever les classiques comme Tongue-Tied Jill, Everybody’s Lovin’ My Baby, et undes futurs hymnes des Cramps dans leur version : Can’t Hardly Stand It. Mais aussi les titres vraimenthillbilly du genre : A Wedding Gown of White, I’ve Been Deceived, Peepin’ Eyes ou Defrost Your Heart. Et, à tout bien considérer, même les tentatives de le faire rentrer dans un format pop, effectuées par les labels sur le tard ont toutes les qualités vocales des premiers enregistrements.

Jean-Pierre Simard

Charlie Feathers – Jungle Fever: 1955-1962 Recordings (Hoodoo Records)