Sur la piste des cinglés avec Sun Ra
Grandeur sans décadence d'un petit commerce de jazz chicagoain pourrait être le sous-titre de l'intégrale des singles de Sonny Blount, avec ou sans son Arkestra. Confronté aux mêmes problèmes que les musiciens de son époque, Sun Ra a choisi la voie de l'indépendance totale pour produire et concevoir la musique qu'il voulait jouer. Et il a réussi à se maintenir à flot, sa carrière durant.
Plusieurs centaines d'albums studio plus tard, une multitude de live et de compilations n'auront pas suffi à satisfaire les amateurs et l'on commence à publier l'intégrale des singles en partant de 1951. Ce volume, en trois vinyles (2CD's), allant des balbutiements à la période cosmique. Ces singles ont déjà été packagés, sur un double Cd de 1996 chez Evidence Records. L'idée de Strut ici est d'offrir en bonus des choses disparues des platines depuis les années 90 avec nombre pistes de spoken words, comme Norton records l'avait déjà fait en republiant spécifiquement ces albums de Space Poetry depuis 2000. Les track listings diffèrent avec un choix marqué pour les prises avec la chanteuse Juanita Rogers et le bluesman Lacy Gibson (beau-frère de Blount.) Mais le choix est vraiment judicieux, allant toujours à l'essentiel.
Ca démarre avec des morceaux parlés de Sun Ra himself pour continuer avec des titres doo-wop bien barrés et du rhythm & blues enregistrés avec des groupes comme les Nu Sounds les Cosmic Rays. Et même si la musique reste dans les clous, les thématiques sont déjà martiennes (et au-delà!). Ra a en effet bossé avec des vocalistes assez spéciaux comme la chanteuse swing Billie Hawkins ou Yochanan, connu sous le titre de “The Space Age Vocalist”. On trouve aussi le très fondu classique de Yuletide “It’s Christmas Time” chanté par The Qualities.
Côté jazz classique deux chouettes versions chantées de titres de Monk par Hattie Randolph, dont“‘Round Midnight” Et, alors que le milieu des années 60 voit l'Arkestra commencer à délirer longuement en live avec des titres d'avant-garde difficiles à mettre sur des singles, quelques exemples succincts son offerts ici. Le titre signature de Ra, différent de la version sortie sur Space is the Place, “Rocket #9,” est ici plus bondissant même si ralenti. Au cours des 70's ,Sun Ra s'est converti aux synthétiseurs pour délivrer un space-funk qui a sûrement donné des idées à Clinton et DJ Spooky, mais sonne comme du Raymond Scott sur “The Perfect Man.” On trouve quand même la version du EP de Y Records, le standart “Nuclear War” de 1982.
La compilation se termine par du space age spoken word qui allie le sens intergalactique de son œuvre à une certaine diction allumée au gaz. Ce ne sont pas mes titres préférés, mais ça vaut pour “I Am the Instrument,” enregistré peu avant sa mort et sorti à titre posthume ( check - titre posthume!) ; un single cd sorti à l'époque, accompagné d'une VHS.
On annonçait au départ que Sun Ra avait su louvoyer du jazz classique à l'avant-garde la plus improbable, développant au passage son système afro-centré de musique cosmique, en résistance à l'industrie du disque, pour mieux affirmer sa différence et son combat pour la culture noire. La vision de la trajectoire, en 65 titres, de ce passeur singulier est ici rendue en une belle introduction qui saura même séduire les aficionados pour ses raretés. Joli coup !
Jean-Pierre Simard
Sun Ra : The Definitive 45's collection - ( 1952/1991) Strut Records