Bienvenue en hétérotopie avec Marie-Anita Gaube
Que se passe-t-il quand on arrive à juxtaposer des espaces incompatibles et que ceux-ci se manifestent en un seul ? On obtient alors une hétérotopie et c'est le travail proposé par
Marie-Anita Gaube. Attention, secousses garanties !
La peinture de Marie-Anita Gaube se singularise avant tout par sa capacité à produire des espaces autres, ces hétérotopies dont Foucault explique qu’elles juxtaposent plusieurs lieux incompatibles en un seul. Depuis la limite inférieure de la toile elle déroule une surface horizontale qui s’avance dans le cadre — les chevrons d’un plancher, le dessin bigarré d’un carrelage, n’importe quelle assise figurant un univers clos, familier, mesurable. Puis ce sol va subitement s’interrompre pour ouvrir sur tout un prisme de vues paysagères. De l’intimité du home on bascule inopinément vers l’inconnu, dans l’au-delà illimité du wild : à perte de vue une étendue d’eau insondable juste ponctuée d’un îlot désertique ou une chaîne de montagnes imprécise, nimbée d’un sfumato pour repousser encore l’horizon. Passé le point d’ancrage, l’arrière-plan du tableau est ainsi subdivisé en autant d’univers divergents dont les différences d’échelle et de perspective soulignent encore le fait : cette peinture procède d’une spatialité radicalement plurielle.
Marie-Anita Gaube compose par montage. Elle assemble, ce qui n’est pas exactement faire somme ; plutôt s’ingénier à instituer des circulations impensables. Ainsi elle égrène des suites hétéroclites d’objets sur le tableau, dont la rencontre inopinée invite à l’association libre : sur un parquet, éparpillés, voilà un chariot de bois, un bol, un clocher miniature jouxtant une poignée de colonnes antiques, puis le pompon d’un coussin et plus loin un îlot rocailleux aux abords duquel un bateau flotte… . C’est un inventaire à la Prévert, où tout prend sens dans l’écart, le décalage. Un ensemble manifestement inconciliable où se délitent les systèmes d’oppositions duelles. Alors, à défaut de ces valeurs statiques de l’ordre symbolique, d’autres liaisons, imprévisibles, adviennent.
A la cohérence et au caractère achevé d’une totalité, Marie-Anita Gaube préfère cette mobilité que l’on sait propre aux fragments — cette infinité de corrélations possibles qu’ils appellent, sans jamais être susceptibles de n’en figer aucune. D’où l’importance de l’incessante dispersion des perspectives et des signifiants à laquelle elle s’attache, afin que cet inachèvement à l’œuvre dans ses tableaux demeure. Et que toujours sa peinture atteste de l’insoluble disparité qui existe entre tout ce que, pourtant, elle rassemble.
Marion Delage de Luget
Marie-Anita Gaube - At the landscape’s corner 19 novembre → 22 décembre 2016
Progress Gallery 4, bis passage de la Fonderie 75011 Paris