Toru Takemitsu, au-delà de la BO de "Ran"
Si le grand public n'a découvert Toru Takemitsu qu'en 1986 avec la B.O. du Ran de Kurosawa, c'est en 1957 qu'il avait été adoubé par rien moins que Stravinsky, lors d'un voyage au Japon, celui-ci remarquant son étonnante connaissance de la musique de chambre européenne. Cela a suffi à lui ouvrir la commande des plus grands orchestres de l'Ouest et ce, jusqu'à son décès en 1996. Mais là n'est pas son seul intérêt. Explications.
Toru Takemitsu (1930-1996) est sans doute le plus connu et plus influent compositeur japonais du XXe siècle. En plus d'écrire de manière quasi compulsive pour orchestre, il a beaucoup pratiqué la musique de chambre, l'écriture pour guitare solo, des pièces électro-acoustiques (avec bandes magnétiques et sons recueillis), tout comme de nombreux morceaux figurant des solistes jouant d'instruments traditionnels accompagnés par des orchestres. Et cela, ne l'a nullement empêché d'écrire la musique de plus de 100 films dont Pale Flower, Double Suicide, Harakiri, La femme des sables et Ran.
Né en 1930 à Tokyo in 1930, Takemitsua passé son enfance en Chine à Dalian, avant de rentrer au Japon et de se faire enrôler dans l'armée à 14 ans, pendant la guerre. Il y a développé une aversion certaine pour la tradition japonaise, ce qui a largement influencé sa carrière artistique. Et c'est pendant les années d'occupation américaine qu'il s'est mis à écouter, avec de plus en plus d'intérêt et de passion la radio et y découvrir les rediffusions des concerts classiques des orchestres occidentaux. Cela fit dire à cet autodidacte qu'ils furent son premier professeur de musique.
En 1951, Takemitsu est un des membres fondateurs du Jikken Kōbō (Atelier expérimental), groupe d'avant-garde d'artistes nippons qui travaillait sur des projets de empruntant à plusieurs disciplines pour travailler avec les nouvelles technologies et s'éloigner de la tradition japonaise étouffante pour mieux approcher la musique contemporaine européenne. Les premières œuvres de Takemitsu sont ainsi marquées du sceau de compositeurs comme Messiaen, Schoenberg, Wagner et Debussy.
Lors d'un voyage de Stravinsky au Japon, en 1957, des membres du gouvernement lui firent écouter inopinément son Requiem. Et ce dernier fut tellement impressionné par son travail qu'il insista pour l'écouter en entier et le rencontrer. Moment ô combien important pour le compositeur qui y trouva non seulement un admirateur qui plaida la cause de la musique japonaise à l'Ouest, mais duquel s'ensuivirent bientôt des commandes des plus grands orchestres américains.
1966 et 1967 furent deux moments importants. D'une part on lui commanda Dorian Horizon, dont la première fut donnée par le San Francisco Symphony Orchestra sous la baguette d'Aaron Copland.
Cette composition aussi sporadique que suivie offrant des paysages variés alternant textures douces et arides avec des mouvements composants autant avec le silence que le quasi silence. Et, l'année d'après, pour le 125 e anniversaire du New York Philharmonic, November Steps faisait alterner deux instruments traditionnels le shakuhachi ( flûte) et le biwa (luth) en solistes avec des passages orchestraux.
La trajectoire musicale de Takemitsu est marquée par un double mouvement. Dans un premier temps, l'éloignement de ses racines japonaises pour expérimenter en direction de l'Occident. Puis ensuite, celle d'un retour/intégration avec l'emploi des instruments traditionnels dans ses mode de compositions tardifs. Il en crédite la paternité à John Cage, lui-même grand adepte du zen dans sa pratique de compositeur.
“Je dois ici exprimer ma profonde et sincère gratitude à John Cage. La raison en est que pendant une longue période de ma vie, j'ai totalement refusé et me suis battu pour ne pas être japonais et ne pas reconnaître ce que cela signifiait. C'est à son contact que j'ai enfin pu en reconnaître les bienfaits ."
Une des clés de son travail, et du plus tardif en particulier, est le concept de ma, défini par le musicien comme la "puissance du silence". La compréhension du silence et son usage comme outil pour créer autant la tension que sa résolution et l'appréhension que cela permet à une pièce musicale de durer est un des aspects des plus révélateurs de son œuvre. Les compositions partent lentement du silence pour y retourner, mais au cours de ce voyage, on passe souvent par de longues méditations entrecoupées ça et là par de brefs moments d'intensité et de variations de timbres qui en saupoudrent le déroulement.
Jean-Pierre Simard