Honky Zombie Tonk, le style électrique d'Henning Wagenbreth

Ça se balance, ça se tord jusqu’à ce que le jour paraisse,
Puis l’orchestre de jazz s’effondre, sans plus de jus après la liesse.
Les gens repartent aux quatre vents, quittant la vapeur bleue épaisse :
Coup de balai, chaises à ranger, l’heure à présent est à la messe.

Lignes fortes et formes simples, caricatures, rythme, humour et pop, le style électrique d'Henning Wagenbreth, identifiable entre tous, crée un univers étrange et enthousiasmant. Dessinateur, illustrateur, maître affichiste, assembleur fou de Tobot, parfois typographe, Henning Wagenbreth convoque les calaveras du Día de los Muertos et l'expressionnisme allemand dans un mélange détonnant et, disons-le, plutôt génial. Sur la couverture, les couleurs éclatent. Bleu, rose, orange, jaune — des faisceaux, des flammes, du son. Trompette, flingues, parade, baston, La Nouvelle-Orléans les pieds devant, du jazz au cimetière, et un passage par le gramophone. Le trait est minimaliste, les formes géométriques, les saynètes hypnotiques : Honky Zombie Tonk t'accroche l'œil, pour sûr, et balance un swing du tonnerre. Joyeuse revanche de la nuit, de l'alcool, de la danse et du « désir débridé » !

Sous les arbres roses et sinueux, dans les flots jaunes du Mississippi, serpents et cous de poulet — une voodoo queen officie, de son chaudron un esprit armé d'une trompette surgit. Henning Wagenbreth retrace une « Histoire du jazz en dessins et quatrains », la naissance dans le bayou, les débuts d'avant Chicago et la prohibition, les pionniers qui ont refusé les enregistrements, les légendes comme Jimmy Roll Morton et Sidney Bechet. En bref, tout ce qui fait encore de New Orleans un mythe, un fantasme à la peau dure peuplé de musiciens, vendeurs ambulants, prostituées, souteneurs, boxeurs, escrocs, joueurs, ou politiciens véreux et de tous les fantômes qui hantent les rues de Storyville, le bayou, les bouges, et les bateaux à vapeur du Mississippi. Non sans rappeler que le berceau du jazz fut aussi traite des noirs, esclavage, champ de coton, noirs pendus, ségrégation, lois raciales, émeutes et racisme.

Glissée en supplément dans le livre, une superbe affiche propose un « Who is who and what is what ? » amusant et précis qui retrace brièvement l'histoire des lieux et la biographie des personnalités présentées, du Razzy Dazzy Spasm Band à Joe King Oliver, en passant par la Streckfus-Line, Basin Street et les photos d’E. J. Bellocq. L'on y découvre aussi : 1. un nain aux pouvoirs hypnotiques videur dans un bordel, 2. un zombie, 3. un tueur en série, 4. un vendeur de gaufres qui souffle dans un clairon. Dépliée, la couverture fourmillant de détails et de personnages incroyables pourrait d'ailleurs elle-même faire office de poster. Honky Zombie Tonk ne déroge pas à la recherche graphique des éditions Le Nouvel Attila, toujours très attachées à la qualité de l'impression. Le livre est d'abord paru en Allemagne chez « Die Tollen Hefte », une collection de textes illustrés dirigée par Arnim Abmeier et Rotraut Susanne Berner. Sa traduction française, par Jörg Stickan (Fuck America, Edgar Hilsenrath, éditions Attila), publiée à la rentrée, est le quatrième titre du label Othello dédié à la poésie, à l'expérimentation, au dépassement des codes et des limites entre les genres, et qui prévoit également cet automne Les Samothraces de Nicole Caligaris (La Scie Patriotique), un leporello illustré par le travail photographique d’Eric Caligaris.

Qui donc est ce diable noir qui se marre devant sa glace ?
Pourquoi dans cette sombre nuit, ces soleils éclairant les places ?
Des bris de glacier ont plongé dans le noir jais des océans,
Bolden avec les fées se casse : whisky, opium et lapins blancs.

Henning Wagenbreth a récemment publié Le Secret de Sainte Hélène au Nouvel Attila, Plastic Dog chez L'Association, et illustré Le Pirate et l'Apothicaire de Robert Louis Stevenson aux éditions Les Grandes Personnes. Son site internet est une véritable mine d'or !

Honky Zombie Tonk, Henning Wagenbreth. Label Othello, Editions Le Nouvel Attila. 2016.

Crédit photo : illustrations d'Henning Wagenbreth, photo- montages de Lou Darsan.

Lou Darsan


Ce texte a été d'abord publié dans Lou et les feuilles volantes, la page littéraire de Lou Dev Darsan. Il est reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur, qui intervient  désormais régulièrement dans la section Livres de L'Autre Quotidien.