Kaouther Adimi : L'exil entre deux royaumes d'une femme
Jeune femme seule en exil cherche sa place entre deux mondes.
Jeune femme algérienne célibataire exilée d’Alger à Paris depuis plusieurs années, la narratrice de «Des pierres dans ma poche» travaille dans une petite maison d’édition. Bien installée dans sa vie professionnelle et son petit appartement, elle vit seule. Seule parce qu’«on ne se fait pas de vraies amies à l’âge adulte, dans une ville étrangère». Seule. Sans homme. Sans mari. Malgré les injonctions envers les femmes pour se conformer à la norme en se mariant, et en particulier celles, étouffantes et culpabilisantes, de sa mère restée en Algérie, devenant encore plus insistantes avec le mariage annoncé de sa sœur cadette.
«Certains jours, je trouve mon annulaire gauche plus gros que les autres doigts. Je l’imagine se glissant dans ma gorge et me coupant la respiration.
Au réveil, je suffoque à la seule vue de cet immonde annulaire gauche.»
Appréhendant le retour prochain en Algérie pour ce mariage, elle remue les souvenirs du passé, l’enfance dans les années 1990 marquée par le terrorisme et le vacarme des bombes, ses envies d’indépendance et d’exil dans ce monde où l’unique avenir promis aux petites filles était déjà le mariage. En retournant la terre de ses souvenirs, elle y trouve des cailloux blancs, images du ciel bleu d’Alger et amitiés regrettées de l’enfance, et d’autres pierres qui pèsent lourds dans les poches, souvenirs de séparation et de cœurs qui se serrent.
«Une nuit, j’ai rêvé que mon corps me quittait. Il mourait d’envie qu’on le caresse. Il m’en voulait de lui gâcher sa jeunesse.»
Enfant et adolescente atypique à Alger, elle est à Paris toujours à cheval entre deux mondes, dans un univers professionnel peuplé de parisiens trentenaires terriblement typiques, partagés entre leur ambition et leurs désirs de vie à la campagne, et dans une solitude affective lourde à porter, perturbée par les coups de fils intrusifs de sa mère restée à Alger, et par ses questions fracassantes comme des missiles, rappelant cette incommunicabilité entre deux rives que Brahim Metiba avait su évoquer avec tant de force dans «Ma mère et moi».
«Je suis une barre médiane : bien au milieu, pas devant, pas derrière, pas laide, pas magnifique. Coincée entre Alger et Paris, entre l’acharnement de ma mère à me faire revenir à la maison pour me marier et ma douillette vie parisienne.
Être une barre médiane c’est comme un intégriste sans barbe, un policier sans moustache, un chanteur de raï sans cheveux. C’est incohérent.»
Aux antipodes de cette mère éloignée, sa seule amie est une femme sans domicile, Clothilde, qui dort sur une petite place près de la rue des Martyrs.
«Il existe une ville lumière où une femme sans maison aux cheveux ébouriffés, assise sur un banc, parle toute seule, emprisonnée dans sa solitude.»
Paru en mars 2016 aux éditions du Seuil, le deuxième roman de Kaouther Adimi brosse le portrait simple et subtil d’une femme qui alterne entre révolte et nostalgie, entre exil et retour, et elle souligne combien il est difficile de grandir avant de vieillir, surtout quand la terre maternelle est si lointaine.
«Restons petits. Que les fourmis rouges reviennent se balader sur mon épaule, qu’on reprenne nos crayons de couleur et que nos lits durs se transforment de nouveau en palais.»
Sophie Joubert en parle magnifiquement dans L’Humanité ici, et Emmanuelle Caminade sur L’Or des livres ici.
Kaouther Adimi - Des pierres dans ma poche, éd. Seuil
Charybde7
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