Indés mode d'emploi : souvenirs d'avant 1998
Avec des méthodes de vente qui donneront des idées à la scène techno, 15 ans plus tard, avant le Net et ses diffusions personnelles, les groupes de rock anglais de 1977 ont zappé les majors, en changeant les conditions du marché de la musique. Retour sur un état de choses qui a vu pendant de longues années, les amateurs fréquenter les boutiques d'import plus sûrement que les bancs de fac. Ou plutôt les premiers avant les seconds…
– Quel label? – Un petit label, répondit Jimmy. – Aaaah ! s’écria Imelda. Un petit label... Comme c’est charmant ! Ils s’esclaffèrent. – Indépendant, précisa Jimmy. – Bien, dit Dean.
C’était parfait. Les Commitments ne seraient pas liés à un minable petit label géré par des hippies. Un premier 45-tours – “Night Train” serait un gros succès à Dublin – et les huiles du showbiz feraient la queue pour récupérer les Commitments, thune à l’appui.
Roddy Doyle, The Commitments
1980 touche à sa fin quand Joe Strummer évoque avec nostalgie, face à un journaliste du New Musical Express, son rêve évanoui: entre un double album qui a réalisé une percée spectaculaire dans les charts américains (London Calling) et un triple tout juste sorti (Sandinista!), le chanteur des Clash aurait voulu sortir un 45-tours tous les mois. La série a déraillé dès son premier épisode, «Bankrobber», un reggae produit par le musicien jamaïcain Mikey Dread. Estimant que la chanson sonnait « comme tous les disques de David Bowie joués à l’envers simultanément », le label du groupe, l’américain CBS, en bloque la sortie jusqu’en août 1980.
Le Clash se rêve alors en colosse très agile, comme s’il pouvait à la fois être l’un des plus gros groupes du monde et toujours capable de sortir un disque rapidement comme une formation débutante. De ce songe, il reste un témoignage sonore, « Hitsville U.K. », d’abord paru sur Sandinista! en décembre 1980, puis en single en janvier 1981. Sa pochette rouge affiche des rondelles de vinyle sur lesquelles on reconnaît les logos de plusieurs maisons de disques indépendantes : le chat au tambour de Postcard, les histogrammes de Factory, les lettres penchées de Fast. Composé par le guitariste Mick Jones et chanté par sa petite amie Ellen Foley, le morceau rend hommage à la soul de la Motown, dont l’immeuble à Detroit était surnommé « Hitsville U.S.A. ». Mais il salue aussi, de l’autre côté de l’Atlantique, une génération émergente de groupes. Les mois précédents, ceux-ci « ont volé des guitares, ou des guitares d’occasion » et, « sans même l’espoir de vendre mille disques », ont essayé, le temps d’un single de trois minutes, de conquérir des ondes qui ne passent que des mauvais titres de rock adulte. Et pour cela, ils ont contourné les grandes maisons de disques, leurs notes de frais somptuaires et leur dopage promotionnel des hit-parades, pour passer par de nouvelles petites structures indépendantes :
They say true talent will always emerge in time When lightening hits small wonder
Its fast rough factory trade.1
Dans ce texte sont accolés bout à bout, à la façon d’un télégramme, les noms de quatre des labels indépendants les plus connus de l’époque : Small Wonder, Fast, Rough Trade et Factory. À travers eux, les Clash s’émerveillent de l’afflux de sang frais qui irrigue la musique britannique : « Ils disent que le vrai talent finit toujours par émerger/Mais quand ça marche, sans surprise/Ca sort toujours des mêmes usines. » Il se glisse une pointe d’envie, entre les lignes, de la part d’un groupe qui, trois ans plus tôt, a signé pour cent mille livres un contrat léonin avec CBS qui le prive du contrôle sur ses sorties de singles, du choix du producteur de ses disques... Contrat qui a suscité l’ire des punks originels comme Mark Perry, le créateur du fanzine Sniffin’ Glue, pour qui « le punk est mort le jour où The Clash a signé chez CBS ».
Jean-Marie Pottier s'est intéressé au phénomène et en retrace ici les hauts et les bas qui consistent, de 1977 à 1997, de Unknown Pleasure à OK Computer à voir monter et descendre les zones d'influence major/indés et les envies de révolte exprimées par la musique, avant que le Net ne vienne remettre tout à plat et passe le flambeau à la techno ou au rap via les clips, pour cause de récupération du phénomène indé qui s'est compromis avec Tony Blair, en y perdant âme et esprit frondeur. La disco fait le point sur les valeurs sûres et les outsiders. Le parfait bouquin à offrir à son petit frère ou sa cousine à peine nubile pour découvrir qu'il y avait des artistes qui rêvaient à autre chose qu'à la famille Kardashian, Cyril Hanouna ou le déjà/finalement adulte Justin Bieber.
Jean-Marie Pottier - Indie Pop 1977/1997, éd. Le Mot et le Reste